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Rue des Beaux-Arts n° 72 – Juillet/Août/Septembre 2020 plus grand et le plus chaleureux éloge. Pendant longtemps je portai cette lettre sur moi, dans mon portefeuille, qui me fut volé en chemin de fer, en 1905, entre Monte-Carlo et Antibes. Mallarmé savait admirablement l'anglais ; je me rappelle la phrase suivante : « une des rares fois que je me suis félicité de connaître l'anglais, c'est le jour où m'arrivèrent vos Poèmes. » Je n'ai jamais rencontré Mallarmé; je n'en ai que plus de chagrin d'avoir perdu sa lettre. J'ai connu aussi, et grandement estimé, Marcel Schwob et l'admirable Moreno. Ceci me rappelle que Wilde me présenta à Sarah Bernhardt, venue à Londres pour jouer Salomé en 1893 ; mais les censeurs interdirent la représentation. Plus tard, à Paris, avant la catastrophe, il alla souvent voir Sarah dans sa loge et il me prit plusieurs fois avec lui. A mon grand dépit, Sarah me traita toujours en petit garçon. Elle me donnait une boîte de bonbons, m'appelait « mon cher enfant » et me laissait assis dans un coin, tout en causant avec Oscar. J'en souffrais beaucoup dans mon amour-propre. Oscar au contraire était enchanté et me disait que j'avais bien de la chance. Mais j'étais trop jeune alors pour être flatté qu'on me traitât en enfant. Ceci me rappelle un mot d'Ernest La Jeunesse. La dernière fois que je le vis, en 1903, il me dit, faisant allusion à mon air de jeunesse : «Tu commences à reproduire le portrait de Dorian Gray ». Il était, comme Wilde, un causeur brillant et très spirituel, et s'amusait parfois à faire le gamin. L'un de ses divertissements préférés était d'attendre le moment, pour traverser une rue, où elle était le plus encombrée et de faire semblant d'être écrasé ; il poussait des cris horribles et suscitait un vif émoi dans la foule accourue, puis continuait avec calme son chemin, comme si de rien n’était. 97