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Rue des Beaux-Arts n° 72 – Juillet/Août/Septembre 2020 remise. Pierre Louÿs se vexa ; en quoi il ne fut guère raisonnable. Je l'aimais beaucoup ; mais j'avais déjà remarqué qu'il était très susceptible et d'un caractère difficile. Après la catastrophe, je ne le rencontrai plus jamais. Je vis André Gide pour la première fois à Alger en 1895. Nous fûmes vite intimes (un grand lien entre nous fut la musique ; il l’adorait, surtout celle de Bach) et bien que je doive avouer que je trouvais ses livres plutôt ennuyeux, personnellement il me plaisait. Il a déclaré lui aussi qu'il m'aimait bien et qu'il avait gardé de moi un souvenir affectueux. Mais qu'il ait éprouvé pour moi ce qu'il a décrit depuis dans Si le Grain ne Meurt, me paraît être de bien mauvais goût. Même si ce qu'il dit de ma conduite privée était vrai, c'est sûrement un vilain manque de tact de l'avoir écrit et publié afin de s'assurer par là un succès de scandale. Comme il se prétend maintenant l'un des plus grands amis et admirateurs d'Oscar Wilde, et se pose en juge de ma conduite, j'ai le droit de lui demander comment il se fait que pendant les trois ans qui se sont écoulés entre la libération de Wilde et sa mort il ne l'a vu qu'une seule fois. S'il avait réellement été un si grand ami de Wilde, l'avoir abandonné quand cet ami tomba dans l'infortune eût été impardonnable. La vérité est que Wilde s'est toujours moqué de Gide et lui a « monté des bateaux ». Wilde s'amusait à dire les plus grosses blagues du monde au pauvre Gide ; et Gide, jobard, avalait tout ce que Wilde lui disait. Je reprochais un jour à Wilde de se moquer ainsi de Gide et lui dis : « pourquoi es-tu si rosse avec lui ; c'est un bon type. » Oscar me répondit : « Mon cher Bosie, André Gide est un égoïste sans ego. Je me demande aussi en vertu de quel droit Gide déverse 95