Rue des Beaux-Arts n° 72 – Juillet/Août/Septembre 2020
auparavant, un jour que j'étais avec Oscar Wilde. Nous passâmes
quelques heures ensemble dans un café, à boire de l'absinthe,
apéritif qui me parut nauséabond. C'était une année environ avant
la catastrophe.
Quant à Alfred Jarry, c'était un homme dangereux, très dangereux.
Un soir nous étions au restaurant, La Jeunesse, Jarry et d'autres
amis. Tout à coup Jarry sortit de sa poche un énorme pistolet et
tira quatre ou cinq coups dans le plafond. Le restaurateur se
précipita sur lui, puis les autres assistants ; après l'avoir bien
bousculé, on le mit à la porte... et nous aussi.
Je fis connaissance de Pierre Louÿs à Londres, alors que j'habitais
avec Oscar à l'hôtel Savoy. Louÿs vint plusieurs fois déjeuner et
dîner avec nous : il écrivit pour moi un sonnet que je publiai dans
le journal d'étudiants que je dirigeais alors à Oxford, The Spirit
Lamp. C'était une version libre d'une lettre que m'avait écrite Wilde
et qui fut ensuite utilisée contre lui par mon père au cours du
procès. L'avocat d'Oscar Wilde, sir Edward Clarke, montra un
exemplaire du numéro de The Spirit Lamp et fit remarquer que cette
lettre avait été transposée en poème par un poète français bien
connu. Il voulait évidemment prouver ainsi que la lettre de Wilde
n'avait nullement le sens dégoûtant que mon père lui attribuait ;
c'était, je crois, peu de temps avant la publication d'Aphrodite.
Nous étions devenus de bons amis quand un jour je l'invitai à venir
passer quelques temps à Oxford dans l'appartement que j'occupais
avec mon ami lord Encombe. Il accepta volontiers. Mais de retour à
Oxford il se fit qu'Encombe et moi eûmes à préparer
immédiatement certains examens ; j'écrivis à Pierre Louÿs que nous
ne pouvions le recevoir en ce moment et que la partie devait être
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