Rue des Beaux-Arts n° 72 – Juillet/Août/Septembre 2020
prostitué, lieu d'investissement réel et accompli du désir de
l'écrivain. Ce qu'incarne l'adolescent vénal, en tant que complice
nécessaire de la perversion agie, c'est le redoublement
ouvertement hors-la-loi et non moins fétichisé de l'éphèbe aux
boucles blondes dont il est, au sens photographique du terme, le
négatif. Si, avec la perversion, la question qui se pose est de
savoir comment l'indignité voire le mal deviennent la règle, la
relation de l'esthète au prostitué montre que, dans l'existence,
l'idéalisation dissimule mal le cloaque qui en est l'aboutissement
non pas accidentel mais nécessaire : « Deviendrai-je donc de
plus en plus ignoble, de plus en plus un objet de dégoût,
jusqu'au point final qui est je ne sais quoi encore mais qui doit
être commandé par une recherche esthétique autant que
morale ? », écrit Genet au début du Journal du voleur 1. Toute la
destinée de Wilde est dans cette hésitation : après avoir voulu
faire du portrait du beau jeune homme une incarnation intacte
et brillante, l'esthète finit par devenir l'objet déchu de ses
élaborations fantasmatiques. Dépouillé de son éclat et de son
pouvoir d'illusion, il révèle à ses risques et périls l'imposture qui
surgit au cœur de la perversion et ne laisse de lui-même qu'une
trace brillante et discontinue.
Pascal Aquien
Référence papier
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Cité par Serge André, L'Imposture perverse, Paris, Seuil, 1993, p. 243.
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