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Rue des Beaux-Arts n° 72 – Juillet/Août/Septembre 2020 le montrer dans « The Critic as Artist ». Ce que signifie la thématique du portrait chez Wilde, c'est aussi la perception effrayée et fascinée de ce qui guette le sujet lorsqu'il va jusqu'au bout de ses propres duperies, sa vampirisation par ce que les Romantiques appelaient le « double » et que la psychanalyse désigne sous le nom de pulsion de mort. Ce que souligne enfin cette question, c'est la force de l'investissement – érotique – dont fait l'objet le beau jeune homme (Dorian, W.H.). Celle-ci (à l'inverse du discours récurrent chez Wilde qui vise à faire de la jeunesse un absolu) l'inscrit dans le relatif, puisque sans lui, sans les signes dont il est porteur, il est impossible de désirer, du moins pour le sujet confronté à sa structure perverse. En même temps, la relation de Wilde à cette figure qu'il cherche sans cesse à représenter, sans jamais en dissimuler les zones d'ombre, s'enveloppe d'un brouillard, le discours esthétique visant à la fois à parer et à justifier le choix, et, en même temps, à le dissimuler : comment cette figure esthétisée pourrait-elle être soupçonnable puisque, avec elle, c'est d'art et seulement d'art qu'il s'agit, et non pas de l'incarnation de quelque objet du désir ? Pourtant, c'est très exactement parce qu'elle est parée à l'extrême qu'elle fait l'aveu de sa nature problématique. Sa qualité de leurre n'en apparaît que plus clairement et le déni qu'elle porte et « qui contient toute la dimension d'illusion, sur laquelle le pervers a construit sa psycho-sexualité » en traduit l'artifice 1. Enfin, derrière le beau jeune homme transmué en objet d'art se cache un autre personnage qui en est le double ouvertement pervers, le garçon 1 Janine Chasseguet-Smirgel, Ethique et esthétique de la perversion, Seyssel, Editions du Champ Vallon, 1984, p. 299. 50