Rue des Beaux-Arts n° 72 – Juillet/Août/Septembre 2020
est fausse la théorie est néanmoins juste. Il demande donc à
Erskine de la diffuser. Emu par ce récit, le narrateur se met à
croire aux affirmations de Graham, mais, au moment précis où
il les communique à Erskine, qu'il convainc, il se met lui-même
à douter. Deux ans plus tard, le narrateur reçoit une lettre
d'Erskine ; celui-ci lui annonce qu'il va lui aussi se donner la
mort pour soutenir la théorie de Graham. Le narrateur affolé se
précipite chez le désespéré pour apprendre que ce suicide est un
faux et qu'Erskine est mort de maladie. Le narrateur hérite
néanmoins du portrait de Will Hughes et conclut ainsi : « I think
there is really a great deal to be said for the Willie Hughes theory
of Shakespeare's Sonnets ». Le vrai et le faux ne sont séparés
que par une illusion ; la vérité n'existe pas, seule importe l'autopersuasion
:
This curious work of art hangs now in my library, where
it is very much admired by my artistic friends, one of
whom has etched it for me. They have decided that it is
not a Clouet, but an Ouvry. 1
Ce que montre ici Wilde, c'est que le discours sur la vérité est
arbitraire, ce dont rend compte le choix du nom des artistes
(Clouet et Ouvry). Si « Clouet » est un nom de peintre célèbre, le
mot est choisi surtout parce qu'il est l'homonyme parfait du
participe « cloué », ce qui permet à Wilde, qui connaissait le
français, de jouer sur les mots (le tableau n'est pas un Clouet,
1
The Portrait of Mr. W.H., Complete Works of Oscar Wilde, op. cit., p. .350.
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