Rue des Beaux-Arts n° 72 – Juillet/Août/Septembre 2020
épuisé tous les rouges est le vert. On ajoutera que le syntagme
anglais « poison green », vert vénéneux, appelait par contiguïté
de signifiants ce sous-titre d'inspiration à la fois symboliste et
impressionniste. On dira aussi, dans le même ordre d'idées, que
la mode, à l'époque, était aux « études » d'une couleur ou d'une
autre, par exemple A Study in Scarlet de Conan Doyle. Dans les
deux cas, la couleur est liée à un mystère et à une enquête ;
surtout elle est associée à des jeux d'écriture, au même titre,
d'ailleurs, que le poison, les mots « poison » et « pen » étant
associés couramment dans le syntagme « poison-pen
letter » (lettre anonyme, par définition venimeuse), qui associe
l'infâmie à la révélation du non-dit.
Wilde s'intéressait à Wainewright pour au moins deux raisons :
premièrement celui-ci, comme lui-même, était un esthète raffiné
qui s'entourait de beaux objets ; deuxièmement, l'art de
Wainewright est marqué par ses crimes, et Wilde est fasciné par
le rapport qu'il décèle entre le péché et la création artistique.
Aussi, lorsqu'il fait le portrait « d'une gentille fille respirant la
bonté », Wainewright réussit-il « à faire passer sa propre
méchanceté » : « he had contrived to put the expression of his
own wickedness into the portrait of a nice, kind-hearted girl » 1 ;
contrairement à ce qui se passera dans Dorian Gray, écrit
l'année suivante, la relation mystérieuse que souligne ici Wilde
n'est pas celle qui se tisse entre le modèle et le portrait mais
celle qui se dessine entre le peintre et son œuvre.
1 Ibid., p. 1106.
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