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Rue des Beaux-Arts n° 72 – Juillet/Août/Septembre 2020 est des portraits doubles, sortes de Janus bifrons qui suscitent chez le lecteur un sentiment d'inquiétante étrangeté, dont on trouve la source dans l'intérêt de Wilde pour une nouvelle que lui avait fait connaître sa mère. Celle-ci avait en effet traduit de l'allemand Sidonia la sorcière, de Wilhelm Meinhold, en 1849, conte gothique où il est, parmi d'autres choses, question d'un double portrait, l'un séduisant, l'autre inquiétant : au premier plan, apparaît une femme blonde vêtue d'une robe magnifique, tandis qu'à l'arrière se cache une sorcière dans les hardes qu'elle portait le jour de son exécution. Wilde revient, en des termes moins spectaculaires, sur le portrait composite dans « Wasted Days » : sur la gauche, le jeune garçon évoqué regarde, à travers la neige, l'intérieur d'une maison en fête ; sur la droite, il observe des moissonneurs. Il est aussi des portraits fascinants, qu'ils soient l'oeuvre d'un grand peintre comme dans « The Young King » (dans ce conte, le monarque est surpris « kneeling in real adoration before a great picture that had just been brought from Venice » 1), ou un simple daguerréotype. Ainsi, dans « The Sphinx Without a Secret », lord Murchison montre au narrateur une photographie représentant une femme inévitablement « picturesque », cet adjectif signifiant certes « pittoresque » mais peut-être plus encore « digne d'être représentée » ; la femme de la nouvelle est un portrait vivant, c'est-à-dire la projection des fantasmes de qui la regarde, avant d'être une personne : She was tall and slight, and strangely picturesque with her large eyes and loosened hair. [...] 1 « The Young King », Complete Works of Oscar Wilde, op. cit, p. 214. 37