Rue des Beaux-Arts n°69 – Octobre/Novembre/Décembre 2019
pas qu’il était allé jusqu’à provoquer Jean Lorrain en duel
dans le bois de Meudon parce que celui-ci (lui-même
homosexuel), avait sous-entendu une liaison entre Proust et
Lucien Daudet. C’est ce trouble profond qu’il exprime quand
il écrit, au début de « Sodome et Gomorrhe », alors que le
narrateur vient de voir Monsieur de Charlus sortir de chez
Madame de Villeparisis et que son allure féminine l’a frappé :
« Race sur qui pèse une malédiction et doit vivre dans le
mensonge et le parjure, puisqu’elle sait tenu pour punissable
et honteux, pour inavouable, son désir ». Et quelques lignes
plus loin, il poursuit, faisant référence à Wilde, sans jamais le
nommer : «de sorte que leur désir serait à jamais
inassouvissable si l’argent ne leur livrait de vrais hommes, et
si l’imagination ne finissait par leur faire prendre pour de
vrais hommes les invertis à qui ils se sont prostitués. Sans
honneur que précaire, sans liberté que provisoire jusqu’à la
découverte du crime, sans situation qu’instable, comme pour
le poète la veille fêté dans tous les salons, applaudi dans tous
les théâtres de Londres, chassé le lendemain de tous les
garnis sans pouvoir trouver un oreiller où reposer sa tête,
tournant la meule comme Samson »
Le drame de Wilde, comme, dans une moindre mesure, celui
de Charlus, Proust le partage entièrement parce qu’ils
appartiennent tous trois à la même race maudite (comme
celle des Juifs, à laquelle Proust la compare.)
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