Rue des Beaux-Arts n°69 – Octobre/Novembre/Décembre 2019
dans la quarantaine (puisque c’est l’âge du baron quand il
rencontre le narrateur). La complexité de son caractère
(vaniteux, mais non dénué de bonté) ? Son jeu perpétuel avec
les masques ? Son tempérament à la fois viril et
féminin (n’oublions pas que Wilde, sous des dehors parfois
précieux, avait été capable dans sa jeunesse de jeter au bas
de ses escaliers, une bande d’étudiants d’Oxford venus
saccager sa chambre). Evidemment, le vrai point commun
entre Charlus et Wilde, celui qui détermine toute leur
conduite, c’est leur goût pour les hommes, et même pour les
jeunes hommes, goût qui dérivera plus tard, chez l’un comme
chez l’autre, vers les mauvaises fréquentations, un penchant
pour la canaille et les gens de peu. Charlus, pendant la
guerre, fréquente un bordel masculin où il se fait fouetter par
des garçons bouchers qui, pour pimenter la séance, se font
passer pour des assassins. Wilde invite à sa table et comble
de cadeaux de jeunes prostitués maîtres-chanteurs et, sur la
fin de sa vie, s’encanaille dans les cafés parisiens avec des
jeunes gens peu recommandables. Mais c’est aussi la
souffrance qui les unit, cette « dissonance » 1 de leur être qui
les contraint à la dissimulation et au mensonge, qui les oblige
à se cacher toujours, à ne jamais se montrer sous leur vrai
jour. Quand la vérité éclatera pour Wilde, il devra payer un
prix exorbitant. Ne doutons pas que le violent anathème et le
cruel châtiment qui se sont abattus sur lui ont dû
profondément émouvoir Proust qui, lui aussi, devait se
cacher, même si, en France, il ne risquait pas la prison, mais
à tout le moins la honte et la réprobation sociale. N’oublions
1 Le mot est de Philippe Berthier.
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