Rue des Beaux-Arts n°69 – Octobre/Novembre/Décembre 2019
s’attendrissait sur elle, comme tous les lecteurs, en se
plaçant au point de vue de Vautrin, qui est le point de vue de
Balzac. Et à ce point de vue d’ailleurs, il était un lecteur
particulièrement choisi et élu pour adopter ce point de vue
plus complètement que la plupart des lecteurs. Mais on ne
peut s’empêcher de penser que, quelques années plus tard, il
devait être Lucien de Rubempré lui-même. Et la fin de Lucien
de Rubempré à la Conciergerie, voyant toute sa brillante
existence mondaine écroulée sur la preuve qui est faite qu’il
vivait dans l’intimité d’un forçat, n’était que l’anticipation –
inconnue encore de Wilde, il est vrai – de ce qui devait
précisément arriver à Wilde. »
Certains ont vu ici une critique de la boutade Wildienne. On
peut aussi y lire de l’empathie et de la compassion pour un
homme dont il partage secrètement les moeurs. C’est en tout
cas quelque chose qui l’a suffisamment frappé pour qu’il
fasse reprendre la phrase par Charlus, avec d’ailleurs, une
nuance de formulation. On peut noter qu’ici, Charlus ne
s’incarne pas en Wilde, puisqu’il le cite, mais qu’il adopte son
point de vue, qu’il s’identifie à lui en quelque sorte.
En relisant de près « La Recherche », on trouverait sans doute
plusieurs autres points communs entre Charlus et Wilde. Son
physique, peut-être ? Quand le narrateur le voit pour la
première fois à Balbec, il le décrit comme « un homme très
grand et assez gros », ce qui pourrait parfaitement convenir à
Wilde, mais aussi certainement à beaucoup d’autres hommes
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