Des détours nécessaires
Par Marie-Hélène Proulx
Le bonheur prend parfois d ’ étranges détours pour venir frapper à notre porte . Il n ’ évite pas toujours les instants tragiques . L ’ une des époques gravées dans ma mémoire fut celle de ma maîtrise , où j ’ ai eu l ’ immense privilège d ’ aller par-delà les profils statistiques que l ’ on nous présente des jeunes de la rue , en partant les écouter déverser leur trop-plein d ’ émotions , directement dans ma petite oreille .
Parmi ces histoires , il y avait celle de Benoît , où chacun des protagonistes semblait vouloir s ’ excuser du rôle qu ’ il y avait maladroitement joué , presque depuis son premier jour sur terre : « Mes parents me disaient qu ’ il n ’ y a pas de livres pour être parent , mais je leur répondais qu ’ il n ’ y en a pas non plus pour être enfant . »
J ’ aurais pu lui rétorquer : « Des livres pour être parent ? Il y en a plein ! Des articles aussi ; j ’ en écris d ’ ailleurs … » Mais il y a de ces moments où le silence s ’ impose comme une évidence . Benoît avait besoin qu ’ on lui laisse le droit de se sentir seul . C ’ est tout . Pourtant , dans les minutes suivantes , son discours a pris un virage inattendu : « Ils ne sont plus jeunes , maintenant , mes parents , il va falloir qu ’ on se retrouve avant qu ’ il ne soit trop tard . »
Ces derniers mots m ’ ont rappelé pourquoi j ’ aime tant écouter ces jeunes-là : lorsque l ’ énergie du désespoir finit de se déchaîner en eux , la plupart restent impuissants ; l ’ espoir , comme une légère brise , souffle à nouveau , leur donnant le goût de croire à quelque chose d ’ invisible , mais tout près d ’ eux , plus doux et plus grand que tout ce qu ’ ils ont su , jusqu ’ ici , saisir . Devant eux , je me sens bien fragile , lorsque je peine à trouver en moi cette force qui les inspire .
Lors d ’ une entrevue avec une psychologue , une question m ’ est venue à l ’ esprit : « Pourquoi , à votre avis , certaines personnes s ’ effondrent à la première contrainte , alors que d ’ autres , même après les pires épreuves , persistent à se relever ? »
« Il y a des systèmes immunitaires pour le corps , il y en a aussi pour l ’ âme , et ils ne sont pas tous aussi forts », m ’ a-t-elle répondu .
Je me sentis alors envahie par le doute , mais sans me sentir nécessairement seule dans cette quête pour percer le secret de cette résilience si intense face à l ’ adversité . D ’ autres ont également exploré ce mystère . Le Dr Jean-François Saucier , psychiatre , m ’ a parlé d ’ une de ses recherches , où des enfants orphelins de père semblaient s ’ en être mieux sortis que d ’ autres , séparés de leur père à cause d ’ une rupture douloureuse . Il avait observé tous les mécanismes de l ’ imagination que certains déploient pour rester fidèles aux souvenirs , même lorsqu ’ un deuil les prive d ’ espoir . Monsieur Saucier m ’ expliquait : « Parce que , pour la mère et l ’ enfant , il est plus facile d ’ idéaliser un père décédé qu ’ un ex-conjoint , et l ’ image que l ’ on entretient intérieurement est souvent plus importante que le reste . »
Mais cet imaginaire ne repose pas nécessairement sur la pure invention ou sur une quelconque interprétation des astres . Il puise plus souvent sa source dans les souvenirs , même furtifs , que l ’ on a pu se construire . Même les parents de Benoît , malgré leurs maladresses , ont dû laisser quelque chose de beau dans les souvenirs de leur fils , pour le ramener vers eux .
Et lorsque le présent ne suffit plus à rétablir notre équilibre , les souvenirs eux-mêmes viennent nous hanter , comme autant de rappels qu ’ il existe , quelque part dans ce monde ou un autre , quelque chose de plus grand ou de plus harmonieux , qui mérite encore d ’ être désiré .
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