Montréal pour Enfants vol. 24 n°2 / Printemps 2024 | Page 4

Le monde qui nous habille

Dans mon article sur l ’ impulsivité , Sophie Parent , professeure à l ’ École de psychoéducation , Université de Montréal , spécialisée en relation mère-enfant , développement des compétences et santé mentale , comparait certains enfants à des pissenlits : quelles que soient les conditions , ils se débrouillent et trouvent ce qu ’ il faut pour grandir . Mais d ’ autres , expliquait-elle , comme les orchidées , nécessitent des soins qui feront la différence entre une croissance en friche et une fleur fabuleuse . Bien sûr , rêver , par moments , d ’ une orchidée qui réclame des soins de pissenlit , c ’ est humain , mais au bout du compte , on ne peut pas tout avoir et , surtout , on ne choisit pas . Et , qu ’ ils soient pissenlits ou orchidées , les enfants nous entraînent sur bien d ’ autres voies que celle de nos attentes .
D ’ après un de mes anciens profs de philo , il s ’ agirait d ’ une excellente nouvelle puisqu ’ il disait : « Si tout se passe comme prévu , si on ne s ’ éloigne jamais de nos repères , qu ’ aura valu le voyage ? Alors , si vous revenez d ’ une démarche en me disant que vous vous êtes perdus en cours de route , moi , je dis bravo ! »
Pour être certain que l ’ on ne se déplace pas pour rien à ses cours , ce prof veillait d ’ ailleurs à bien nous égarer par quelques phrases comme « On se glisse dans un chandail et on a l ’ impression de se couvrir ; mais si , au contraire , on venait remplir le monde ? » J ’ ai trimé longtemps sur cette dernière phrase . À travers les années , je suis parvenue à lui donner un sens , peut-être pas celui qu ’ aurait voulu le prof , qui sait …
On a toujours , dans sa garde-robe , un veston pratique que l ’ on garde pour les moments officiels , qui protège du froid et des regards , qui permet de rester anonyme ou de ne dévoiler que ce que l ’ on veut . Mais on a aussi ce vieux chandail auquel on revient tout le temps , celui qui appartient à notre univers autant qu ’ il paraît faire partie de nous , où l ’ on se sent nous-mêmes et qui ne semble espérer que nous . On rêve tous d ’ une famille comme ce vieux chandail : une fibre chaleureuse , tissée juste assez serrée , qui semble n ’ attendre que nous pour prendre forme .
Lorsqu ’ un bébé arrive dans le monde , tout peut apparaître comme une menace à ce petit être fragile et à notre rôle hésitant . Alors on le protège , avec toutes les couvertures et tous les accessoires possibles , et on se protège : on se crée une bulle . Pourtant , même à l ’ intérieur de la bulle , on se rend compte que tout ne se passe pas comme prévu non plus . L ’ enfant réagit selon ce qu ’ il est : il faut subir ses comportements ou leur faire de la place . Apprendre à accueillir , c ’ est le travail d ’ une vie .
Il y a un siècle , le temps consacré à ce tendre ajustement aurait été plus court . Les enfants arrivaient sans attendre et on leur trouvait vite quelque chose à faire . Le mode de vie rurale l ’ exigeait . La famille n ’ était sans doute pas plus parfaite , mais on n ’ avait pas le choix de s ’ y tailler une place , quelle que soit sa nature .
Aujourd ’ hui , tout est un peu différent . D ’ une part , les enfants sont convoités , désirés , avec toutes les attentes qui viennent avec . D ’ autre part , ils naissent ici le plus souvent dans une famille qui n ’ a plus vraiment besoin de leurs bras . On leur demande plutôt de rester sages et de ne pas chercher trop vite à prendre leur envol .
Dans ce contexte , la reconnaissance , il faut la bâtir de notre propre voix , de nos propres mains , au quotidien , pour tous ces enfants qui guettent constamment le geste qui signifie « Nous n ’ attendions que toi ! » Comment alors manifester notre gratitude ? Saurons-nous leur montrer qu ’ ils valent le détour et que leur façon de nous amener à les accepter tels qu ’ ils sont , nous l ’ avons aussi désirée ?
Chaque jour , la réponse reste à redéfinir .
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