Un flocon de rêve Par Marie-Hélène Proulx
Ma nièce Valérie vit à Silicone Valley . Ses parents ont touché du doigt la technologie , le rêve américain et les oranges du terroir californien . Digne descendante de ses parents , Valérie nous est arrivée , au Noël de ses 7 ans , avec un souhait qui semblait dépasser la frontière des possibles .
Rêvait-elle d ’ une fusée interstellaire ? D ’ une rutilante Lamborghini ? Non : Valérie a demandé à sa grand-mère … un flocon de neige . La grand-maman , émerveillée d ’ une telle candeur , mais tout de même un peu embêtée parce qu ’ elle ne pouvait pas , concrètement , offrir à la fillette un cristal de glace à rapporter chez elle , a fini par en dégoter un en plastique parmi les décorations de Noël en solde d ’ un grand magasin . Au moment de recevoir son présent , forte de ses tentatives de façonner un « bonhomme » avec les premières giboulées de décembre , Valérie n ’ était pas dupe : cet objet n ’ était pas le « vrai flocon » qu ’ elle espérait . Le « merci » plutôt réservé dont elle nous a gratifiés nous l ’ a bien fait sentir .
Elle est comme ça , Valérie : elle demande peu et ne se plaint jamais . Il faut dire qu ’ elle est entourée de gens enclins à aller au-devant de ses désirs . Et les pédopsychiatres auront beau parler des frustrations nécessaires pour évoluer , je ne m ’ inquiète pas pour elle : la vie , généreuse en maladresses et en sourcils froncés , se chargera de lui apprendre l ’ art du pardon , lorsqu ’ elle sera prête … je lui fais confiance .
Mais je m ’ égare . Difficile de trouver les mots lorsque ce qui marque le souvenir n ’ est pas un geste ou une affirmation , mais une omission . Jamais la grand-maman n ’ a songé à dire à sa petite-fille que son rêve n ’ était pas réalisable . Qu ’ en s ’ attendant à recevoir un flocon de neige en cadeau , Valérie était dans l ’ erreur .
Dans l ’ erreur … vraiment ? Et si , au contraire , la demande de cette gamine habituellement si timide avait exprimé quelque chose de profondément vrai ? On l ’ a invitée à formuler un rêve et elle l ’ a fait – sans se demander ce qui était réaliste , sans se soucier de ce qui l ’ aurait fait briller dans la petite société de la cour d ’ école .
Par ce souhait , Valérie s ’ est révélée résolument elle-même : une fillette capable de contempler le charme éphémère et de conserver le précieux souvenir du moment où elle a observé son premier flocon , même s ’ il y en a des milliards autour d ’ elle . Cette sensibilité , cette présence au monde contribuent largement à la rendre unique , irremplaçable à nos yeux .
Depuis , l ’ eau a coulé sous les ponts et coulera encore . Nous ne sommes équipés que pour accompagner des parcelles de la vie des enfants . Valérie célèbre aujourd ’ hui ses quinze ans . Qui sait , peut-être connaîtrat-elle un monde où l ’ on peut téléporter sous le soleil californien un flocon intact .
Mais qu ’ importe si elle réalise son rêve déjà empoussiéré . Ce qui reste vivant , c ’ est l ’ image d ’ une jeune fille qui ne peut nous apparaître sans qu ’ à côté d ’ elle un flocon de liberté continue à briller . Ce qui reste vivant , c ’ est l ’ espoir que jamais Valérie ne le laisse tout à fait disparaître .
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