Montréal pour Enfants vol. 23 n°4 / La Rentrée 2023 | Page 4

Et que ça saute !

Par Marie-Hélène Proulx
« C ’ est en essayant et en réessayant que l ’ on devient bon . Les choses que l ’ on est fier d ’ avoir réussies , c ’ est toujours comme cela . »
J ’ entendais une mère derrière moi fredonner ce discours , correspondant , presque mot pour mot , à celui que des experts de l ’ éducation et de la pédopsychiatrie venaient de me tenir . Mais la leçon ne s ’ arrêtait pas là … « Cela a été pareil lorsque tu as appris à marcher . Tu ne te souviens plus , mais crois-tu que tu aies réussi du premier coup ? Eh bien non : tu es tombée souvent ! Ce sera la même chose pour l ’ écriture : il faudra recommencer pendant des années avant de pouvoir faire un texte sans aucune faute … »
« À qui le dites-vous ! » pensais-je . Pourtant , c ’ est sans surprise qu ’ en me retournant , j ’ observais un petit air boudeur plutôt qu ’ une figure d ’ émerveillement devant ce discours maternel si compréhensif , bien ficelé et plein d ’ assurance . Il faut dire que l ’ enfilade des arguments ne laissait pas une grande place pour la répartie ou la remise en question . La fillette , qui venait de terminer sa journée sur une mauvaise note , apprenait maintenant , par surcroît , qu ’ elle n ’ avait pas été un bébé surdoué , qu ’ elle se devait de voir les choses autrement et qu ’ elle le ressentirait durant encore peut-être quelques années , ce petit pincement dans la poitrine , au moment de se faire commenter un travail de français …
Par son exposé sans faille , la maman avait sûrement atteint le stade de la « good-enough Mother », ce principe chéri de Winnicott , que m ’ avaient transmis les mêmes experts que ceux de la leçon précédente , pour m ’ expliquer que les mères , non plus , n ’ ont pas à être parfaites . Elles aussi peuvent se reprendre , pour créer des enfants heureux . Mais , cette fois , c ’ est l ’ observatrice que j ’ étais qui ressentait bientôt le besoin de rectifier son jugement : se faire imposer des balises n ’ est pas très amusant , mais qui suis-je pour critiquer ceux qui en donnent , après avoir passé ma vie à souffrir d ’ en manquer ?
Comme parent , comme être humain même , on saisit les occasions que l ’ on peut pour faire passer nos messages . Et tout le monde n ’ a pas la chance d ’ avoir l ’ embarras du choix avec des enfants qui les bombardent constamment de questions . C ’ était peut-être plus facile … tiens … pour l ’ autre maman que j ’ entendais , il y a quelques jours , se faire demander pourquoi le caissier ajoutait « s ’ il vous plaît » avant « passez ici , c ’ est ouvert » aux clients de la file d ’ attente . C ’ est vrai : pourquoi offrir un service comme si on quémandait une faveur ? Moi aussi , j ’ attendais impatiemment la réponse .
« C ’ est une question de politesse », trancha la mère . « Qu ’ aurais-tu préféré qu ’ il nous dise , mon lapin ? “ À ma caisse tout le monde , et que ça saute !” ? En tout cas , moi , je n ’ aurais pas aimé cela . »
Un silence songeur s ’ ensuivit , de la part dudit lapin et de moi-même . Après coup , je pense encore que cette occasion d ’ imaginer une rangée de lapins sautillant à la queue leu leu devant un caissier aux expressions de cambrioleur est assez rigolo !
Reste à savoir ce que « ledit lapin » retiendra de cette savoureuse question servie en guise de leçon sur la vie . Avant de passer des grandes oreilles au petit cœur , les messages doivent parfois traverser un parcours du combattant , entre les oublis , les réticences et les distorsions , d ’ où l ’ intérêt de s ’ y prendre de plusieurs façons pour faire passer un message . Je crois d ’ ailleurs avoir déjà entendu quelque sage personne dire à ce sujet que , pour toute bonne chose dont on est vraiment fier , « c ’ est en essayant et en réessayant que … »
Je vous laisse décider de la suite …
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