Montréal pour Enfants vol. 23 n°1 / Relâche 2023 | Page 4

Rêve en fuite !

« Ne frappez pas sur la vitre , vous allez effrayer les pâtisseries ! » Voilà ce qui était inscrit en premier plan de la vitrine du pâtissier du coin .
Quand on est en panne d ’ inspiration , on cherche la suite de ses idées dans le moindre mystère . Ici quelle était l ’ intention , le message sous-jacent du pâtissier ? Clin d ’ œil littéraire ? Souci de protéger sa vitre des empreintes d ’ enfants ? Bombardée de questions , la caissière me répond simplement : « On voulait faire rire les enfants . »
Faire rire , avec un interdit ? Quel étrange concept ! Mais c ’ est vrai qu ’ à l ’ époque où on apprend à séparer le « pareil » du « pas pareil », pouvoir rire en s ’ exclamant , tout à coup « ça ne se peut même pas ! », sans hésiter , relève du chant de victoire . Plus jouissif encore : savoir que ça ne se peut pas , mais prolonger le plaisir d ’ y croire quand même , juste parce que des pâtisseries qui s ’ enfuient , c ’ est trop drôle .
L ’ histoire n ’ est pas nouvelle : depuis le conte du Petit bonhomme de pain d ’ épices au 19 e siècle , elles ont roulé leur bosse les pâtisseries qui se sauvent ! Pourtant , la surprise est encore là , entière . La proposition peut être reprise comme une balle au bond ou écrasée comme une crêpe , par un « Bien , voyons donc ! », ou « On est pressé ».
Parfois , on ne sait pas comment réagir , alors on tente d ’ échapper aux situations embêtantes plus vite que les petits pains chauds . Parce que , lorsqu ’ on grandit , on se rend compte que les tête-à-tête avec les pâtisseries timides ne sont jamais si intimes : on devine que l ’ on sera observé . On apprend à maîtriser son rire sous le regard de l ’ autre , à se donner des règles ou des prétextes pour le justifier ou l ’ éviter . On est vu , on en prend conscience , on appelle cela s ’ assagir .
Pourtant , il faut une imagination presque infinie aux enfants pour trouver des excuses aux parents qui ne savent plus jouer , pour des raisons qu ’ ils ne comprennent pas encore .
Si l ’ esprit du parent était au rendez-vous ce jour-là , imaginez jusqu ’ où pourraient aller les pâtisseries ! Se tiendraient-elles immobiles simplement par ruse ? Devrions-nous les imiter ou craindre leurs représailles ? Ce serait une bien douce vengeance que celle que l ’ on partagerait avec papa ou maman , sur le dos d ’ un éclair au chocolat .
Parfois , la vie donne des cadeaux , comme cela … pas vraiment gratuits : le coût des pâtisseries du coin vaut amplement les mots avec lesquels on les enrobe . Pourtant , il y a toutes ces occasions que l ’ on aurait pu laisser passer , mais sur lesquelles le temps s ’ est figé un instant , qui font que ces douceurs vont goûter l ’ humour de papa ou maman , le soupçon de « Si jamais c ’ était vrai » que l ’ on s ’ offre une dernière fois avant que les rêves ne se sauvent pour de bon .
Ainsi , la disparition des pâtisseries trop timides de notre champ des possibles ne fera pas nécessairement mourir la magie : elle pourra aussi l ’ amener à trouver refuge dans un monde intérieur que l ’ on maîtrise mieux et que l ’ on révèle , dans certains cas , comme un privilège .
Espérons donc que nous saurons offrir à une prochaine génération de pâtisseries la liberté de s ’ échapper au plus profond des imaginaires enfantins .
4 édito www . montrealpourenfants . com