Montréal pour Enfants vol. 22 n°6 / Hiver 2022 | Page 32

des biscuits . Ils peuvent aussi intervenir de façon salutaire grâce à leur familiarité avec les produits branchés , ainsi que les nouveaux concepts d ’ achats en ligne , parfois sous forme d ’ enchères ou autres modes interactifs .
Un peu comme des parents migrants qui réclameraient l ’ aide de leurs enfants pour saisir les codes de leur communauté d ’ accueil , les parents comptent à l ’ occasion sur leur enfant pour leur servir d ’ interprète du monde virtuel , ce que Sarah Benmoyal appelle un phénomène de « socialisation inversée » : « On le voit très bien avec le digital : les enfants expliquent rapidement à leurs parents comment il faut faire certains types d ’ achats ou cliquer sur le téléphone . Ils deviennent vite plus expérimentés que leurs parents sur certains sujets . Et en ce sens , sur certaines catégories de produits , il est intéressant de les informer pour qu ’ ils puissent dire aux parents : ‟ Moi , je veux cela ”. À cause de ce processus de socialisation inversée , il peut être intéressant de les avoir comme cible d ’ information , même s ’ ils ne sont pas la cible du produit directement . »
La connaissance et la culture que développent les jeunes pour guider les parents dépassent aussi la simple expertise technologique . Célia explique qu ’ elle s ’ établit déjà de multiples critères afin d ’ éviter des choix à l ’ aveuglette , ou encore , le baratinage des influenceurs rémunérés : « Si une vidéo a un nombre élevé de ‟ j ’ aime ”, ça veut dire que la personne est réputée sur TikTok . Son compte est vraiment très visité . Elle a plus de chances de faire des partenariats . Ça se voit que ça a été payé . Mais quelqu ’ un qui n ’ a pas beaucoup de ‟ j ’ aime ” et de followers , ça veut dire qu ’ il n ’ a pas été payé . Moi , lorsque je vois un beau produit , mais avec moins de ‟ j ’ aime ”, je vais quand même l ’ essayer . » Bien que ses critères puissent être remis en question , ils offrent sans contredit une bonne base à une discussion sur l ’ importance de consommer de façon critique .
Consommateur : un métier périlleux ?
Lorsqu ’ ils sont appelés à intervenir , ces jeunes experts ne sont pas toujours à l ’ abri de leur naïveté ou de leur engouement pour certains produits dans leurs conseils familiaux . Jihen Ben Arbia croit que d ’ accorder aux enfants une certaine latitude pour l ’ erreur peut correspondre au choix d ’ un style parental plus démocratique , qui veut laisser l ’ occasion à l ’ enfant d ’ apprendre par essais et erreurs , dans un contexte encadré .
June Marchand suggère aux parents de commencer tôt à partager leurs valeurs d ’ achats et leurs trucs d ’ économie avec leurs consommateurs de demain , avant qu ’ ils ne les surpassent en navigation sur la toile : « Faire cette éducation prend du temps , et , souvent , lorsqu ’ on va faire l ’ épicerie , on est pressé . Mais faire l ’ épicerie pourrait devenir une séance d ’ éducation à la consommation . »
Aucune des chercheuses rencontrées ne prêche toutefois l ’ abstinence de consommation des produits publicisés en fonction des clientèles familiales ou le refus systématique des demandes enfantines . Pour Sarah Benmoyal , il s ’ agit plus d ’ éviter de tomber dans un cercle d ’ obligations de consommer dont on ne sait pas trop comment se sortir ou des jugements de parents et enfants sur ceux qui n ’ auraient pas reçu les mêmes jeux ou vu les mêmes spectacles qu ’ eux : « Les parents ont besoin de consommer et tant mieux s ’ ils trouvent des entreprises qui correspondent à leurs valeurs . Je ne vois pas pourquoi il faudrait éviter cela . Ce n ’ est pas la question . Après , c ’ est la manière dont c ’ est fait qui est importante . Maintenant , il faut regarder les dérives que cela peut causer . »
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