Montréal pour Enfants vol. 20 n°4 / La rentrée scolaire 2020 | Page 43
Mais, croyez-le ou non, je ne me souviens
pas d’un seul élève qui n’aimait pas les
livres ! Certains peuvent perdre le goût
de lire, oui, mais tous les élèves que j’ai
rencontrés au fil des années aimaient les
livres ! Curieux ? Non, peut-être pas tant
que ça.
L’histoire de Philippe
Philippe était en troisième année. Du haut
de ses huit ans, il avait été plus éprouvé
par la vie que moi quand j’en avais trente.
En plus de vivre une situation familiale touchante
et complexe, il présentait un trouble
déficitaire de l’attention (TDAH) avec impulsivité
et un trouble important du langage,
affectant particulièrement sa compréhension.
Disons qu’il avait le sac à dos bien
rempli avant même de commencer sa journée
à l’école.
Apprendre, c’était plus long et plus ardu
pour lui. Suivre le rythme du groupe lui
demandait beaucoup d’efforts. Bien sûr,
il est plus difficile de rester motivé quand
les tâches représentent constamment
un défi… Pour le soutenir, lui proposer
des défis à sa mesure et lui faire vivre de
belles réussites, plusieurs moyens étaient
en place. Mais, quelque part en chemin, il
avait perdu le goût de l’effort.
Philippe s’opposait de plus en plus au travail
en classe, signe que nos exigences
étaient trop élevées, qu’on sautait sûrement
une étape dans nos interventions. Il
se laissait distraire par tout ce qui l’entourait,
ne restait pas assis, refusait de collaborer.
On avait révisé son plan d’intervention
deux fois en peu de temps.
On cherchait les meilleures façons de faire
pour augmenter son attention face à la
tâche et pour lui faire vivre des réussites
chaque jour. Malgré tout ce qu’on mettait
en place, on ne voyait plus de progrès.
La découverte de la bibliothèque
Un jour, alors que je prenais du temps avec
Philippe pour jaser avec lui de ses intérêts,
j’ai eu l’idée de l’amener à la bibliothèque
avec moi, de l’ouvrir juste pour lui. Je lui
ai dit : « Viens avec moi, Philippe, j’ai une
surprise pour toi ! »
J’ai piqué sa curiosité. Il m’a suivie. Alors j’ai
ouvert la porte de la bibliothèque comme si
c’était la caverne d’Ali Baba ! Il se passa
quelque chose… Il a soudainement eu les
yeux grands comme des soucoupes. Je
lui ai dit qu’il pouvait choisir les livres qu’il
voulait, sans restriction ; il en a choisi neuf !
Des bandes dessinées, des livres Cherche
et trouve, des livres remplis d’images et
d’autres sans, certains titres dont il avait
entendu parler, mais trop difficiles pour lui,
des documentaires sur les chats… Bref,
tout ce qui lui plaisait ! Je l’entends encore
me dire à chaque livre qu’il voulait : « Lui,
est-ce que je peux ? »
Philippe paraissait étonné chaque fois que
je lui répétais que c’était lui qui décidait !
J’ai eu tellement de plaisir à le voir durant
ce moment privilégié qui donnait tant de
sens à mon travail.
J’ai placé ses livres dans un panier préparé
pour lui, et nous avons planifié les
moments de la journée où il pourrait les
regarder. Mon action toute simple a eu
beaucoup d’impact sur sa motivation et
son engagement à l’école, même si ce ne
fut pas magique !
Philippe a continué d’éprouver des difficultés,
et son besoin de soutien est resté le
même. Mais j’ai créé une ouverture. J’ai
rallumé la petite flamme pour qu’il retrouve
le goût de s’investir.