Montréal pour Enfants vol. 19 n°4 La Rentrée 2019 | Page 4
4 édito
>
www.montrealpourenfants.com
La vie est injuste…
Vous arrive-t-il de vous mentir à vous-même ? Cette
semaine, je me suis aperçue qu’alors que je pensais
prôner l’équité au sein de ma famille, j’étais plutôt
orientée vers l’égalité… Quelle différence, me direz-vous ?
Et même s’il y en avait une, est-ce si grave ? À mon
humble avis, si l’équité (combler les besoins de chacun,
bien que les moyens puissent être différents) me semble
un choix plus juste que l’égalité (offrir à chacun la même
chose, quels que soient les besoins réels), en termes de
valeurs familiales, je crois que ces valeurs peuvent avoir
un impact très négatif sur la famille, si on les vise à tout
prix… Je m’explique !
Depuis que mes enfants sont petits, j’agis en voulant
créer un sentiment d’égalité entre eux. Tout le monde a la
même part de gâteau, tout le monde a le même montant
comme cadeau d’anniversaire, tout le monde se couche
à la même heure pendant les journées de classe… Tout
cela est parti d’une bonne intention : ne pas susciter
de sentiment d’injustice chez mes enfants. Cela dit, je
me demande si en faisant cela, je n’ai pas créé un autre
problème : l’incapacité à accepter que la vie soit parfois
(souvent ?) injuste.
L’injustice, pour les petits et même pour bien des adultes,
peut être vécue comme un drame. Pourquoi l’autre a-t-il
plus de chance, plus de biens, ou même plus de talent ou
de qualités que nous ? Pourquoi vivons-nous des revers
et des échecs, alors que d’autres baignent dans l’aisance
et la facilité ? Les enfants se posent régulièrement ce type
de questions et ils l’illustrent de manière concrète (p. ex. :
mon ami a une tablette et pas moi, ma copine se couche
plus tard que moi, les voisins sont allés en voyage et pas
nous…).
Quand j’y pense (et ce n’est pas un reproche, juste un
constat), ma mère a souvent eu un discours très négatif
face aux injustices que nous vivions. Dans une large
mesure, je crois que j’ai intégré ce discours, et je ressens
fréquemment de l’injustice face à ceux qui ont tout reçu
« tout cuit dans le bec ». Je ne m’en plains jamais devant
mes enfants, car je veux qu’elles sentent que la vie est
juste, mais je vis tout de même cette injustice et je la
verbalise à ma meilleure amie…
Serais-je mieux outillée pour accepter les iniquités si ma
mère m’avait tout simplement répété, lorsqu’elle subissait
des préjudices, quelque chose du genre : « La vie n’est
pas juste aujourd’hui, mais elle le sera demain ! » En
laissant croire à nos enfants que la justice se doit d’être
toujours présente, n’est-on pas en train de leur mentir
effrontément et de créer chez eux des attentes irréalistes et
garantes d’insatisfaction par rapport à la vie ? Idéalement,
les injustices ne devraient pas nous surprendre ou nous
déstabiliser, car elles font partie de la vie, à petite et à
grande échelle. Nous devrions probablement aspirer à
une justice plus globale et difficilement mesurable, en ce
sens que chacun a dans sa vie une suite de moments
faciles ou plus pénibles. En outre, sans avoir vécu dans
les chaussures de l’autre, il est ardu d’estimer leur vraie
chance… Ce qui semble injuste, quand l’on se compare,
ne l’est peut-être pas tant que cela.
Je choisis maintenant de mieux assumer les injustices
ponctuelles et d’avoir la foi en la justice à long terme, même
si elle n’est pas garantie et presque impossible à quantifier.
Et je vais partager cette idée avec mes enfants, tout en
étant moins à cheval sur l’égalité à la maison. J’espère
que cela les aidera à vivre le plus sereinement possible les
injustices qu’elles rencontreront, immanquablement, sur
leur route… Et vous, comment abordez-vous la justice à
la maison ?
Anik Routhier
Enseignante en Techniques d’Éducation à l’enfance