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vie de famille
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dire à leur conjoint ‟J’aime que tu me fasses telle
chose”. Elles sont prudes. On est dans une culture
de la porno, où il va se dire de grosses choses, mais
quand vient le temps de mêler les émotions à cela,
elles ont de la difficulté à en parler. »
De manière plus générale, Audrey Brassard assure
que de savoir mettre des mots sur les besoins
qui émergent et se réajuster à la réalité peut faire
une grande différence : « Verbaliser ses besoins
est primordial : ‟J’aurais besoin de telle chose
dans tel contexte.” Il est également essentiel que
l’autre entende ces besoins et tente d’y répondre
d’une façon qui peut être reçue comme une forme
d’aide, et donne un soutien sensible. Je le dis dans
le sens que si une personne a besoin d’écoute,
ce n’est pas la même chose que si elle a besoin
de conseils, d’aide concrète ou que tu fasses des
tâches ménagères. »
Bon nombre de parents rencontrés admettent qu’ils
ont été confrontés à des besoins et à des contraintes
imprévus et qu’ils ont dû modifier constamment
leurs comportements. Par exemple, Béatrice a
dû opter pour la solution du cododo, un choix
qui, comme plusieurs autres dans la vie de jeunes
parents, amène souvent la mère à développer plus
d’intimité dans sa relation avec l’enfant et touche
d’autres aspects de la dynamique familiale : « Moi,
je n’aurais jamais pensé faire du cododo avec ma
fille, mais elle me l’a demandé et je n’avais pas de
raison de refuser. Mais cela a affecté toute la sphère
de nos relations. Cela a affecté nos soirées, les nuits,
le matin, parce que je me couche tôt. On a plus les
mêmes moments ensemble. »
Certains « nouveaux papas » trouvent alors assez
bien leur place, entre les bains, les couches à
changer et les corvées de lessives qui s’accumulent,
mais d’autres ont le sentiment d’être inutiles, dans
la petite bulle d’amour qui se forme entre la femme
de leur vie et leur nouvel enfant. Valérie Harvey, en
faisant son doctorat à partir du témoignage des
pères, en a entendu certains laisser transparaître de
la déception à propos de la relation qu’ils auraient
aimé développer, dès le départ, avec le noyau
familial : « Ils ne reprochent pas l’allaitement, bien au
contraire ; mais ça reste pour eux une barrière, parce
qu’ils ne peuvent rien faire pendant ce temps-là. Ils
ne peuvent pas coller le bébé. La mère noue un lien
d’intimité et d’attachement avec le bébé qu’ils n’ont
pas. Tout ce qu’ils peuvent faire, c’est développer
leurs liens avec les grands… quand il y en a. Pour
eux, ce n’est pas encore le rôle de père, parce que
la belle-mère ou la gardienne pourraient faire cela. »
Valérie Harvey, ainsi que d’autres expertes, observe
qu’à force de devoir être plus près de l’enfant, celle
qui allaite, ou celui qui prend le plus long congé
parental, développe plus rapidement des habiletés
qui peuvent l’amener à devenir plus critique quant
aux contributions du partenaire. Les émotions en
montagnes russes des mères épuisées n’aident
pas non plus les conjoints à se sentir adéquats.
Marjolaine en sait quelque chose : « Avant, c’était
égal dans la répartition des tâches. Et quand le
bébé est arrivé, cela a été assez compliqué ; mais je
pense que c’était parce que lui avait des moments
de loisirs que je n’avais pas. Je le voyais jouer avec
ses jeux vidéo. J’avais beaucoup de frustration par
rapport à ça. Et lui ce qu’il m’a dit, c’est qu’en fait,
il ne trouvait pas sa place. Il ne savait pas quoi faire.
On a eu beaucoup de discussions là-dessus. On en
a encore. J’avais l’impression de tout faire dans la
maison. »
Valérie Harvey croit même que, dans certains cas,
valoriser concrètement la place que l’autre partenaire
tente de prendre oblige à certains renoncements,
que toutes les mères ne seraient pas prêtes à faire :
« C’est sûr que pour une mère, c’est très valorisant
si c’est elle que l’enfant appelle lorsqu’il s’est blessé.
C’est agréable un bébé qui se colle et qui sèche ses
larmes grâce à toi. Tu as seulement besoin d’être
là. Mais quand c’est papa qu’il demande, ce n’est
pas comme ça que tu avais imaginé ta maternité. »
Cette perspective n’est toutefois pas partagée par
toutes et Carolane Dionne, une autre sexologue de
Autour du bébé, voit plutôt tous les efforts que font
les mères pour encourager les pères à s’impliquer,
et s’insurge contre le fait que l’on tende à les
culpabiliser pour le soutien qu’elles ne parviennent
pas forcément à obtenir : « C’est toujours la faute de
la mère. C’est la solution facile de dire ‟C’est elle qui
ne lui laisse pas de place”. »