Montréal pour Enfants vol. 19 n°2 Printemps 2019 | Page 16

16 vie de famille www.montrealpourenfants.com dire à leur conjoint ‟J’aime que tu me fasses telle chose”. Elles sont prudes. On est dans une culture de la porno, où il va se dire de grosses choses, mais quand vient le temps de mêler les émotions à cela, elles ont de la difficulté à en parler. » De manière plus générale, Audrey Brassard assure que de savoir mettre des mots sur les besoins qui émergent et se réajuster à la réalité peut faire une grande différence  : «  Verbaliser ses besoins est primordial  : ‟J’aurais besoin de telle chose dans tel contexte.” Il est également essentiel que l’autre entende ces besoins et tente d’y répondre d’une façon qui peut être reçue comme une forme d’aide, et donne un soutien sensible. Je le dis dans le sens que si une personne a besoin d’écoute, ce n’est pas la même chose que si elle a besoin de conseils, d’aide concrète ou que tu fasses des tâches ménagères. » Bon nombre de parents rencontrés admettent qu’ils ont été confrontés à des besoins et à des contraintes imprévus et qu’ils ont dû modifier constamment leurs comportements. Par exemple, Béatrice a dû opter pour la solution du cododo, un choix qui, comme plusieurs autres dans la vie de jeunes parents, amène souvent la mère à développer plus d’intimité dans sa relation avec l’enfant et touche d’autres aspects de la dynamique familiale : « Moi, je n’aurais jamais pensé faire du cododo avec ma fille, mais elle me l’a demandé et je n’avais pas de raison de refuser. Mais cela a affecté toute la sphère de nos relations. Cela a affecté nos soirées, les nuits, le matin, parce que je me couche tôt. On a plus les mêmes moments ensemble. » Certains «  nouveaux papas  » trouvent alors assez bien leur place, entre les bains, les couches à changer et les corvées de lessives qui s’accumulent, mais d’autres ont le sentiment d’être inutiles, dans la petite bulle d’amour qui se forme entre la femme de leur vie et leur nouvel enfant. Valérie Harvey, en faisant son doctorat à partir du témoignage des pères, en a entendu certains laisser transparaître de la déception à propos de la relation qu’ils auraient aimé développer, dès le départ, avec le noyau familial : « Ils ne reprochent pas l’allaitement, bien au contraire ; mais ça reste pour eux une barrière, parce qu’ils ne peuvent rien faire pendant ce temps-là. Ils ne peuvent pas coller le bébé. La mère noue un lien d’intimité et d’attachement avec le bébé qu’ils n’ont pas. Tout ce qu’ils peuvent faire, c’est développer leurs liens avec les grands… quand il y en a. Pour eux, ce n’est pas encore le rôle de père, parce que la belle-mère ou la gardienne pourraient faire cela. » Valérie Harvey, ainsi que d’autres expertes, observe qu’à force de devoir être plus près de l’enfant, celle qui allaite, ou celui qui prend le plus long congé parental, développe plus rapidement des habiletés qui peuvent l’amener à devenir plus critique quant aux contributions du partenaire. Les émotions en montagnes russes des mères épuisées n’aident pas non plus les conjoints à se sentir adéquats. Marjolaine en sait quelque chose : « Avant, c’était égal dans la répartition des tâches. Et quand le bébé est arrivé, cela a été assez compliqué ; mais je pense que c’était parce que lui avait des moments de loisirs que je n’avais pas. Je le voyais jouer avec ses jeux vidéo. J’avais beaucoup de frustration par rapport à ça. Et lui ce qu’il m’a dit, c’est qu’en fait, il ne trouvait pas sa place. Il ne savait pas quoi faire. On a eu beaucoup de discussions là-dessus. On en a encore. J’avais l’impression de tout faire dans la maison. » Valérie Harvey croit même que, dans certains cas, valoriser concrètement la place que l’autre partenaire tente de prendre oblige à certains renoncements, que toutes les mères ne seraient pas prêtes à faire : « C’est sûr que pour une mère, c’est très valorisant si c’est elle que l’enfant appelle lorsqu’il s’est blessé. C’est agréable un bébé qui se colle et qui sèche ses larmes grâce à toi. Tu as seulement besoin d’être là. Mais quand c’est papa qu’il demande, ce n’est pas comme ça que tu avais imaginé ta maternité. » Cette perspective n’est toutefois pas partagée par toutes et Carolane Dionne, une autre sexologue de Autour du bébé, voit plutôt tous les efforts que font les mères pour encourager les pères à s’impliquer, et s’insurge contre le fait que l’on tende à les culpabiliser pour le soutien qu’elles ne parviennent pas forcément à obtenir : « C’est toujours la faute de la mère. C’est la solution facile de dire ‟C’est elle qui ne lui laisse pas de place”. »