Montréal pour Enfants vol. 18 n°5 Automne 2018 | Page 24

24 psychologie www.montrealpourenfants.com D’ailleurs, outre le besoin d’interagir avec l’immensité du monde, c’est le besoin d’inciter le parent à devenir pour lui un interlocuteur viable que l’enfant poursuit, plus ou moins consciemment. Voilà pourquoi Anne-Marie Quesnel suggère que le modèle de communication que l’on veut offrir à celui qui tente d’attirer notre attention va bien au- delà des mots : « Parce que si l’enfant demande : “Pourquoi c’est comme ça?”, que l’on continue à s’occuper de ses tâches d’adulte, et que l’enfant continue avec ses pourquoi, ça devient un match de tennis. Il n’y a aucun contact, aucune connexion avec l’enfant. Moi, j’aurais tendance à prendre 30  secondes pour m’asseoir à son niveau, lui répondre, les yeux dans les yeux, pour que ça “connecte”. » UN LONG PARCOURS VERS L’ALTRUISME Tina Montreuil constate toutefois que l’avancement de notre société, l’omniprésence des technologies et l’accélération de notre rythme de vie ne semblent pas jouer en faveur de ces compétences: «  L’intelligence cognitive, on naît avec. Cela ne s’enseigne pas, explique-t-elle. Mais l’intelligence émotionnelle se développe et, de 1920 à la dernière décennie, l’intelligence émotionnelle, donc le quotient affectif a en général diminué chez les enfants. » En revanche, une simple pause qui révèle que le parent prend le temps de réfléchir à ce qui est demandé et de peser avec l’enfant le pour et le contre, offre la chance à celui-ci de développer sa propre tolérance à un délai  : «  Ce que je recommande aux parents, ajoute Tina Montreuil, c’est de dire  : “J’ai entendu ta requête. Donne- moi seulement quelques minutes pour y réfléchir.” En même temps, cela développe une espèce de tolérance à l’incertitude chez l’enfant. Il n’est pas certain de ce que je vais répondre, moi, le parent. On sait que les gens qui n’arrivent pas à gérer ou qui sont très intolérants à l’incertitude ont plus de chances d’être vulnérables », précise-t-elle. Mais avant d’avoir vécu ses premières interrogations ou négociations ainsi verbalisées, l’enfant a déjà en mémoire plusieurs éléments, intégrés depuis la toute petite enfance, qui lui permettent de présumer que, quoi qu’il arrive, quelque part dans le raisonnement du parent se cache une motivation qui est bonne pour lui. Cette disposition à la confiance des petits négociateurs a déjà trouvé ses racines dans le degré de constance, de stabilité et de cohérence des soins qui sont à la base de la relation d’attachement que l’enfant a établie avec son parent, depuis la naissance  : «  Si, depuis le début, ils ont confiance en nous, que l’on a toujours répondu à leurs besoins de façon stable, ils finissent par avoir une idée que ce n’est pas grave, qu’ils peuvent attendre, pense Marc Bigras. D’ailleurs, les enfants remarquent que s’ils ne font pas les choses, s’ils ne respectent pas les limites, il y a une conséquence qui peut être grave, par exemple, se blesser. Et là, l’enfant voit que lorsque le parent lui dit  : “Écoute, c’est grave, il faut que tu regardes des deux côtés lorsque tu traverses la rue”, il n’a pas besoin d’avoir été heurté par une voiture pour se rendre compte de ce qu’il faut le faire.  » Bien sûr, admet Marc Bigras, cela ne fonctionne pas à tout coup, mais cette base, déjà bien identifiable au 18e mois de vie, et que les réponses cohérentes dans la négociation viendront renforcer jusqu’à l’adolescence, permet déjà d’aspirer à une suite des choses plus facile. Cette communication ne passe donc pas seulement par les mots. L’enfant crée son éventail d’outils de négociation à partir d’un amalgame de réactions du parent envers lui, de ce qu’il observe entre les parents, et plus tard, chez les camarades d’école qu’il observe ou qui s’adressent à lui  : «  Même vers quatre ans, l’enfant va jouer à la maison et peut-être que l’on va avoir des cas de négociation, rapporte Stuart Ian Hammond. On peut voir ce qu’il comprend de tout cela. Il faut dire qu’en psychologie du développement, l’imitation peut