Le Legs – L'Épreuve – La Fausse Suivante / Un Triptyque de la Norme :
Nous avons entamé en 2011 le début d’un long travail sur les textes de Marivaux. Nous sommes persuadés que ceux-ci renferme en eux des trésors de violence et de lucidité sur la condition humaine. Ce travail de dramaturgie appliquée se base sur le refus constant d’une vision idyllique et divertissante de Marivaux. À cela nous lui préférons sa capacité à mettre à jour les jeux de désirs, normes et pouvoirs qui gisent entre les êtres. Ce travail est pour un espace de recherche pour une langue théâtrale qui nous est personnelle. Il se finira par la création de La fausse suivante et pourra être présenté de manière dépareillé ou ensemble.
Ce triptyque est pour nous une déclinaison de grands thèmes traversé par Marivaux. Ils se déclinent dans ces pièces et sont traités particulièrement dans chaque pièce. Il donne lieu, mis ensemble, à une expérience de la norme présentée dans des contextes différents, et donnant à voir différentes luttes. Cette expérience de la norme et ces représentation de la lutte sont des choses difficiles à mettre en scène, il ne s’agit pas de représenter avec précision les modes et stratagèmes de lutte réel utilisé par les différentes minorités pour s’extraire de leurs situation de minorité. Il s’agit pour nous de décliner sur scène diverses situations d’aliénation et leurs effets sur les corps. Les luttes elles sont théâtralisées et distillées dans des gestes, des regards, des coups ou des chutes.
La norme dans le Legs est celle de la tradition, la convention sociale. Hortense est dépossédée de son corps, de toute volonté, par sa filiation qui lui impose un mariage. Elle entre alors en lutte pour la conquête de sa propre couche, de l’avenir de sa vie. Il en est de même pour le Marquis, Amoureux de la comtesse, dont la parole et le corps sont entravé par son incapacité à se dire lui-même. Obsédé qu’il est de ne pas perdre la face, de ne pas se découvrir. Il en est de même pour la comtesse, étrangère à elle-même, muette face à la présence d’un homme à qui elle ne peut rien dire.
L’Epreuve est la pièce de l’argent. La norme ici se joue dans la dynamique des personnages à se vendre eux-même, et donc à correspondre à ce que le regard de l’autre projette sur eux. Dans cette pièce, Lucidor veut épouser Angélique mais pour éprouver sa future femme va mettre en place un stratagème pour vérifier qu’elle l’aime, pour assurer son investissement. Chaque personnage est ici objet d’une transaction et acheteur d’un autre. Ils sont agents et monnaie de leur propre système, un système où le sexe s’utilise comme arme de conviction et mode de reconnaissance. Arme de conviction car c’est par le sexe, l’accomplissement du désir de l’autre, que se présente le personnage, c’est ainsi qu’il se donne de la valeur, qu’il se laisse vendre et ainsi acquière une situation sociale qui lui est meilleur. Le corps, s’il n’est pas toujours objet sexuel, est toujours le jouet d’un autre, donné dans l’espoir d’un avancement social, d’une sortie de précarité. La pièce se construit comme une micro-économie où les personnages sont acheteurs et monnaie.
La Fausse suivante enfin raconte l’expérience d’une lutte face à une norme de genre. Cette norme se présente d’abord dans la narration comme un fait concret, Le chevalier ne peut pas confronter Lelio seul, elle/il doit se transformer, se plier, déchirer une partie d’elle pour faire face, c’est par une voix déguisé qu’elle peut parler librement. Mais ce travestissement va créer un déplacement au cœur même du chevalier, va troubler l’agencement de son désir. Par-là, il va troubler aussi ceux de Lelio et de la Comtesse, faire trembler leur certitude sur ce qu’ils sont et créer un espace entre eux et leur genre.
Nous proposons ce triptyque pour une série de représentation sur une semaine, permettant au public de voir les trois pièces séparément ou lors d’une après-midi-soirée de 4h, entracte compris. Cette proposition peut-être accompagné d’ateliers, de stages ou de temps de réflexion sur les thèmes de la pièce et la question de la représentation d’un texte classique.