Il y atrois semaines, Grâce à Dieu, ours d’argent à Berlin, est sorti sur les écrans français
après décision de justice : les avocats du père Preynat, dont le procès doit se tenir fin 2019,
avaient déposé une assignation en référé devant le tribunal de grande instance de Paris
pour obtenir le report de sa sortie. Leur argument : le dix-huitième long-métrage de François
Ozon, qui retrace la naissance de l’association La Parole libérée et le parcours d’Alexandre
Hezez (incarné par Melvil Poupaud), un de ses fondateurs et l’une des victimes présumées
du père Preynat, porterait atteinte à la présomption d’innocence de leur client. A ce jour,
Grâce à Dieu comptabilise d’ores et déjà 483 820 entrées, un succès sans être un carton.
François Ozon a accepté de réagir par mail à la condamnation du cardinal Barbarin.
Quel est votre sentiment ?
PÁRRAFO 1 :
Je pense que ce jugement est une victoire symbolique très importante pour la protection de
l’enfance en France. Il est en phase avec la société d’aujourd’hui et acte la prise de
conscience de la fin d’une impunité quant aux crimes de pédophilie. Et surtout, il pointe
précisément la responsabilité des institutions, qui doivent cesser de garder le silence sur les
crimes commis en leur sein.
PÁRRAFO 2 :
A travers le cas du cardinal Barbarin, la non-dénonciation d’actes pédophiles est enfin
reconnue comme une véritable infraction aux yeux du grand public. A mon avis, cela va
permettre une libération de la parole encore plus importante et dans beaucoup de domaines.
En quoi Grâce à Dieu est-il, comme vous le dites, un film citoyen ?
PÁRRAFO 1
C’est un film clairement du côté des victimes, des plus faibles, dans la tradition d’un cinéaste
que j’admire, Fassbinder. Au-delà des faits déjà connus, j’ai essayé de montrer l’intimité des
victimes et les répercussions de la libération de leur parole sur leur entourage, toute cette
partie de l’iceberg dont ne parlaient pas les journalistes, qui s’en tenaient aux faits, et que
le public ne connaissait pas. Il est certain que mon film, en montrant leur combat, leur donne
un statut de héros, que j’assume et qui me semble légitime, vu la force, l’intelligence et
l’endurance qu’ils ont dû déployer pour en arriver jusqu’à ce jugement.
PÁRRAFO 2 :
C’est une fois fini que j’ai véritablement pris conscience de l’aspect citoyen du film. En
écoutant les réactions des premiers spectateurs, en participant à des débats, j’ai réalisé que
Grâce à Dieu prenait une ampleur qui allait au-delà du cinéma, que le film s’inscrivait dans
le débat très actuel autour de la libération de la parole, de la remise en cause des institutions,
du rapport à la foi, etc. Bref, je me suis senti parfois un peu dépassé (notamment à la suite
des attaques judiciaires contre le film), mais je suis heureux d’avoir fait ce film, qu’il rencontre
le public et un écho dans la société française.
Bernadette Sauvaget
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