Art de vivre
P
eu de personnes ont le privilège de
pénétrer dans le saint des saints, le peintre
est un solitaire qui vit loin de l’agitation des
villes et des mondanités. Son travail, exposé
en Tunisie et à l’étranger, restitue avec permanence
et obstination son environnement proche. Ses longs
112 séjours à l’étranger lui ont permis d’acquérir une vision
globale et distanciée du monde dans lequel il évolue.
Il nous donne à voir des perspectives éclatées,
dépouillées de tout détail anecdotique, dans lesquelles
des personnages traversent l’espace, animés de
fulgurants sursauts, ou demeurent immobiles,
ramassés sur eux-mêmes dans une tension extrême.
Parfois, l’immensité d’un paysage quasi monochrome
occupe tout l’espace de la toile… Silence, chargé
d’antiques tragédies, qui résonne en nous comme
un écho intérieur, réveille notre conscience, exigeant
toute l’acuité de nos sens. L’homme sait bien que tout
lui échappe, et à la fuite éperdue du temps Tahar
M’Guedmini oppose, en les figeant, des fractions
de secondes échappées d’un quotidien intime et
mystérieux. Avec une étonnante économie de moyens,
il déploie toute une palette subtile de gris colorés, allant
vers des bleus intenses et profonds, pour nous livrer sa
vision du monde. Longtemps les images persistent et
notre regard sur les êtres et les choses en est bouleversé.
Tahar M’Guedmini est né à Djerba.
Après des études aux Beaux Arts de Tunis puis de Paris,
il s’installe en Suisse en 1975. En 1989, il décide de se
fixer définitivement à Djerba, retour aux sources. Tahar
parle avec rigueur et passion de sa peinture : « Ayant
acquis très tôt l’apprentissage du dessin, il était évident
pour moi que le corps humain, son anatomie, occupe
une place importante dans ma démarche picturale.
Il fallait inventer un monde, le cadencer, le développer.
Aujourd’hui je me perçois comme un peintre du corps,
même si auparavant l’élément terre - les masses
organiques, leurs traces, l’eau, le vent - m’attirait,
me faisant sentir proche de l’Arte-Povera. De retour
à la figuration, que je veux nouvelle et proche
de l’expressionnisme gestuel, lyrique, je peins des
personnages dans leur situation, leur attitude, leur
énergie, leur état d’âme. Il s’agit là d’une gestualité pure,
abandonnée et impulsive, comme pour libérer la figure
du poids de la représentation, dépouillée d’anecdotes,
de superficiel et de superflu. Nous assistons aujourd’hui
à la complexité de la tragédie du monde et je ne peux,
en tant qu’artiste et citoyen, qu’être témoin de ce qui
nous arrive. Ainsi l’acte pictural devient aventure.
Une façon de voir le monde, un voyage de l’esprit
pour alimenter l’imaginaire, saisir le réel, exprimer
les émotions, les faire partager et les communiquer
aux autres. L’acte de peindre est donc aussi social, un
moyen d’existence. Un moment de vie… »
Page de gauche
Tahar M’Guedmini en plein travail dans une gamme de
gris colorés et de peinture de l'âme et du corps
Page de droite
Atelier cathédrale et toiles encours de ce peintre
engagé dans sa lecture du monde
Paysages djerbiens pour l'exposition en Suisse