Psychologie
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L’intimité
d’une rencontre
Une cliente vient avec ses incertitudes.
Le coiffeur doit lui apporter des réponses
précises. Line Fabing-Keller, psychologue,
et Thierry Jochum, coiffeur au salon Yannick
Kraemer Prestige, à Strasbourg, évoquent
ensemble l’instant de la rencontre.
Par Emmanuel Abela
Photos : Chrystel Lux
Line Fabing-Keller : J’ai pensé à la question du cheveu. Le
cheveu a un impact considérable. Prenons par exemple les
premiers cheveux qu’on coupe à son enfant, les boucles du
bébé. Pour la mère, il s’agit d’accepter que son enfant grandit
et passe à autre chose ; c’est presque un premier moment de
séparation. De même pour un enfant, l’instant où sa mère se
coupe les cheveux provoque chez lui une forme de sidération.
Il se rend compte qu’elle n’a plus tout à fait le même visage ;
ça n’est plus tout à fait sa mère. Pour la question de l’identité,
le cheveu est essentiel : à l’armée, qu’est-ce qu’on coupe en
premier, ce sont les cheveux, pour uniformiser ? Du coup, le
coiffeur a une importance capitale. Je ne sais pas si vous saisissez
à quel point c’est important. Et à quel point, à un moment, on
se retrouve dans une vulnérabilité totale. On s’en remet à vous,
avec vos ciseaux – qui renvoient à la castration ! – ; ce qui est
coupé, il n’y a que le temps qui peut le rattraper.
Thierry Jochum : Tous les jours, on se dit : je coupe des cheveux,
c’est mécanique, et en même temps, je touche à des femmes,
je rentre dans leur intimité, et il faut que je fasse attention. Le
cheveu, c’est intime, ça peut être sensuel. Nous mêmes, qui
avons une âme, une personnalité, nous hésitons parfois...
L.F-K. : On a une idée de soi, une image avec laquelle on est
plus ou moins en accord, mais un jour, on s’en remet au coiffeur.
Et en même temps, je vous demande à vous, le professionnel :
« Laissez moi un peu de moi et donnez-moi un peu autre
chose. »
T.J. : Je vous comprends. C’est pour ça qu’on passe par une pha-
se diagnostique. Ça peut paraître clinique, mais c’est nécessaire.
Il nous faut chercher à comprendre l’autre. Nous devons nous
projeter dans ses envies, mais c’est complexe. Il nous faut arriver
à établir le lien entre deux images, celle de la personne qui est
projetée dans le miroir et celle que nous avons d’elle.
L.F-K. : Oui, il faut arriver à construire quelque chose de cette
rencontre. C’est ambivalent : la cliente a une image qu’elle
connaît, et en même temps elle est en demande d’un change-
ment. Mais ce changement ne doit pas trop perturber l’image
qu’elle a d’elle même, c’est extrêmement délicat.
T.J. : Du coup, c’est à nous de l’aider à franchir le pas.
L.F-K. : D’où l’importance de retrouver le coiffeur en qui on a
confiance…