Magazine Kraemer KRAEMER MAGAZINE 07 | Page 54

54 55 TENDANCES ———— Marilyn Monroe, l’icône star au sommet de sa gloire : incomparable ! L es boucles sont si étroitement liées à la chevelure qu’elles ont fini par se confondre avec elle. Au XIX e , Baudelaire ne s’y trompe guère quand il introduit ainsi son poème La Chevelure dans la section Spleen et Idéal des Fleurs du mal en 1857 : Ô toison, moutonnant jusque sur l’encolure ! Ô boucles ! Ô parfum chargé de nonchaloir ! Extase ! Pour peupler ce soir l’alcôve obscure Des souvenirs dormant dans cette chevelure, Je la veux agiter dans l’air comme un mouchoir ! Ici comme ailleurs, les boucles désignent les cheveux, dont elles sont indissociables dans l’esprit des gens depuis l’aube des temps – n’attribue-t-on pas aux assyriens la création du fer à friser ? Autre exemple, Boucles d’Or – parfois au singulier, Boucle d’Or – est bien le nom qu’on donne en se basant simplement sur la couleur de ses cheveux à cette petite fille blonde dans le conte folklorique écossais du même nom, généralement attribué aux frères Grimm. La boucle pour le cheveu, comme une év- idence même. Or, l’histoire de la chevelure nous rensei- gne : les boucles, bien qu’omniprésentes de tout temps, ne sont qu’une possibil- ité parmi d’autres pour les coiffures des femmes. Le début du XX e a même tenté de rompre avec des siècles de tradition bouclée, en revenant au lisse, et même à pire que cela : la coupe garçonne. L’éman- cipation de la femme passait par la néga- tion de ce qui était considéré alors comme la forme la plus pure de toute féminité : la boucle justement. La boucle, comme force de séduction  ; la boucle, comme l’amorce du péché – sublime Marie-Ma- deleine dans le Retable d’Issenheim de Grünewald, à contempler indéfiniment au Musée Unterlinden, à Colmar  ! –  ; bref, la boucle, comme le fruit du désir… Pendant un temps, vade retro la boucle, au placard : à la Belle Époque, elle est malmenée, voire niée, elle n’est plus le signe de la modernité. Dans un mouve- ment inverse, elle devient même le motif de l’androgynie dans la magnifique évo- cation que fait Thomas Mann du jeune Tadzio dans La Mort à Venise en 1912  : «  Les ciseaux n’avaient jamais touché sa splendide chevelure dont les boucles, comme celles du tireur d’épine, coulaient sur le front, les oreilles et plus bas encore sur la nuque ». Une description magnifiée dans la version filmée qu’en a proposée Luchino Visconti au début des années 70. Mais c’était sans compter le cinéma amér- icain, qui faisait largement fi de ces con- sidérations garçonnes très européennes de l’entre-deux-guerres pour se ré-attacher pleinement au glamour, quitte à imposer de nouveaux codes. Dans les années 30, la star hollywoodienne devient la référence en matière de coiffure, et la tendance est nettement à la boucle comme on peut le constater dans certaines photographies d’époque : le carré court à la Jeanne Darc qui a fait le succès de Louise Brooks à la fin de la décennie précédente chez Pabst cède le pas sous les coups de boutoir ondulés signés par les grands coiffeurs de studio à destination de Greta Garbo dans une version intermédiaire, puis de Marlène Dietrich. L’actrice allemande devenant au passage l’archétype de la femme fatale, blonde et bouclée, auquel seuls résistent les contre-modèles subtilement ondulés et bruns de la sublime Paulette Goddard dans Les Temps modernes de Chaplin ou la troublante Maureen O’Sullivan dans la série des films de Tarzan avec Johnny Weissmuller. Une tendance nettement relayée en France, qui doit répondre à des critères à la fois esthétique – on naît femme, c’est bien pour le rester ! – et pratique. Même pendant l’occupation, la boucle se maintient avec une coiffure qui relève les cheveux en masse ondulée et bouclée, laissés longs sur la nuque. En ces temps d’austérité, cette coupe qui fut à la mode pendant toute la guerre constitue selon certains historiens un défi patriotique en dépit de la vogue des grands chapeaux et autres turbans popularisés pour cacher des chevelures devenues moins sophis- tiquées. Après guerre, la boucle revient en force avec Rita Hayworth, et au moment où les jeunes gens s’emparent du pouvoir de la mode, les modèles outre-Atlantique viennent une fois encore confirmer la tendance. Dans Sept Ans de Réflexion, l’image de Marilyn Monroe à sa fenêtre, un sèche-cheveu à la main, fait fantasmer des générations entières de jeune gens : le mythe d’une blondeur juvénile associée à l’entretien de boucles soyeuses est dé- finitivement ancré dans la mémoire col- lective. Dans cette scène culte, érotisée à la limite de l’impudeur, l’actrice incarne définitivement un profond sentiment de liberté, lequel anticipe l’émancipation des générations suivantes, tout en exprimant la plus grande modernité esthétique ; elle le fait ici, avec le même aplomb que dans la scène demeurée célèbre de la bouche de métro. Dans un même mouvement as- cendant, les robes se soulèvent tout au- tant que les cheveux dans le vent, à moins que ça ne soit le contraire : les cheveux d’abord, les robes ensuite. Depuis, la boucle, bien que bousculée par- fois ou carrément reléguée, a gardé toute sa place aux côtés des cheveux lisses, frisés ou crêpés, elle effectue son retour très régulièrement sur le devant de la scène. Les années 70 ont connu leur lot de per- manentes, y compris pour les hommes. Après, ce n’est pas faire injure à Robert Plant de Led Zeppelin que d’affirmer que la mode de ses ravissantes bouclettes ———— Beyoncé joue avec ses longs cheveux autant qu’avec les codes : en passant de la coupe afro à de belles boucles, elle donne du sens à son élégance naturelle.