Magazine Kraemer KRAEMER MAGAZINE 07 | Page 14

14 15 Entretien Philippe Bloch, la vie reste belle ! Philippe Bloch, Tout va mal… Je vais bien !, Ventana Éditions Par Catherine Janin Lors du dernier séminaire Kraemer, l’essayiste et animateur radio Philippe Bloch a donné l’une de ses célèbres conférences. Rencontre avec un penseur qui continue à croire en la capacité des Français. Dans Tout va mal… Je vais bien !, vous nous relatez deux anecdotes douloureuses. Elles ont en commun d’impliquer des gens qui, à chaque fois, ont placé des verrous à des moments clés de votre vie. Vos ouvrages, finalement, ne sont-ils pas écrits pour nous donner des clés ? Pour être tout à fait sincère, je n’avais jamais vu les choses comme ça, mais votre analyse psycho de ces deux anecdotes m’amuse plutôt. C’est effectivement une façon de voir les choses. J’ai raconté ces deux histoires personnelles au début du livre parce qu’il est toujours intéressant de se livrer un peu et de montrer à quel titre on s’exprime. Après, au-delà du fait de chercher à “déverrouiller”, j’essaie de formuler surtout l’idée que la France est bien plus belle que ne se l’imaginent les Français eux-mêmes. Dans le titre, j’insiste sur un paradoxe français : les habitants vont plutôt mieux que le pays lui-même, c’est une réalité qui suscite l’étonnement des autres pays dans le monde. Quand on interroge les Français, ils se disent heureux, mais par contre ils ne sont pas heureux de vivre ensemble. De plus, ils sont très inquiets concernant l’avenir de la France, alors qu’ils se montrent plutôt rassurés quant à leur avenir personnel. Le problème majeur c’est qu’ils s’enfoncent dans la défiance à l’égard de tout, de l’Europe mais aussi du monde. À l’égard des autres et de ceux qui ne leur ressemblent pas. Ce sujet est éminemment politique, mais les politiques ne le traitent pas. Il s’agirait de pouvoir nous rassembler au-delà de nos divergences. Tout cela vient de l’absence de projet commun. Je le sais, en tant qu’entrepreneur, vous pouvez vivre collectivement la naissance d’un projet dans l’adversité, mais le rêve de le voir aboutir est toujours plus fort que les contraintes qu’on vous impose. C’est peut-être d’ailleurs l’une des choses qui reste l’une des plus déverrouillées en France : l’esprit d’entreprise. Et ça c’est plutôt rassurant. La France n’a jamais été aussi entreprenante, et notamment les jeunes Français. Qu’est-ce qui peut réactiver l’enthousiasme des Français ? Ce qui est étrange, c’est que cet enthousiasme est assez facile à réactiver, mais qu’il n’y a personne pour le faire. Aujourd’hui, les Français en arrivent à un point de rupture : ils en ont marre d’en avoir marre. Ils en ont assez de se dire qu’il n’y a plus d’attente, plus d’avenir. Pour moi, ce qu’il faut retrouver c’est l’envie de se battre. Ma conviction c’est qu’on est surprotégé ; on s’occupe tellement de nous qu’on en perd nos défenses immunitaires. Du coup, on a peur de tout. Dans mon livre précédent, je rappelle cette différence entre les Américains et les Français : les Américains se lèvent le matin en se disant “Pourvu qu’il m’arrive quelque chose“, les Français eux se disent “Pourvu qu’il ne m’arrive rien”, c’est symptomatique. Ce principe de précaution, il faut le faire sauter. Et favoriser le sens de l’audace et du risque. Je le dis souvent : surprotéger affaiblit, entreprendre aguerrit. Quand le rêve n’existe plus, la société commence à se démolir. Le Français ne croit surtout plus dans le pouvoir du politique ni dans sa capacité à régler les problèmes. Il se pose la question de savoir comment faire sans lui, mais la difficulté qu’il rencontre c’est qu’il est difficile justement, dans la société telle qu’elle a été pensée en France, de faire sans lui – on ne connaît pas de pays plus politique que la France ! Donc, il vit dans cette phase de transition où personne ne l’excite véritablement, avec la conscience tout de même d’un regain d’énergie, de l’existence de vrais talents et d’un potentiel considérable à l’ère du numérique. Ce que j’observe c’est que lors de mes conférences – j’en donne à peu près 120 par an –, je commence avec des gens qui ont le moral dans les chaussettes et qu’au bout d’une heure et demi, ils ont envie d’en découdre avec le monde entier. Nous sommes donc tous prêts à repartir ! Je continue donc de penser qu’il faut qu’un leader charismatique émerge aussi bien de la société civile que du politique parce que la France peut se remettre en marche. Elle l’a démontré si souvent… En fin d’ouvrage, vous insistez sur un mot essentiel : la bienveillance. Cette bienveillance dépasse la notion même de générosité. Elle est la prise de conscience de l’existence de l’autre. La bienveillance est un mot très puissant, pas si souvent utilisé, que j’apparente aussi à la gentillesse, une immense qualité. C’est un mot qui est en train de prendre. Le « to be kind » anglais. « Gentle », également, un mot anglais né du français. Oui, et c’est amusant parce que certains de ces mots anglais ne sont pas forcément traduisibles en français. À ce titre, au moment de l’édition de Ne me dites plus jamais bon courage !, l’éditeur a lancé un concours en ligne sur l’expression qui pouvait remplacer « bon courage ! ». Ce qui est intéressant, c’est que malgré le millier de contributions, personne n’a trouvé. Le mot « enjoy » en anglais est un mot formidable parce qu’il dit à la fois « amuse-toi », « prends du plaisir » ou « jouis de la vie », dans toute son intensité. Malheureusement il ne connaît pas d’équivalent en français… Pour en revenir à cette notion de bienveillance, je pense que la société française est naturellement bienveillante, mais pour l’affirmer il faudrait qu’elle s’aime déjà un peu plus elle-même...