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Entretien
Philippe Bloch,
la vie reste belle !
Philippe Bloch,
Tout va mal… Je vais bien !,
Ventana Éditions
Par Catherine Janin
Lors du dernier séminaire Kraemer,
l’essayiste et animateur radio Philippe Bloch
a donné l’une de ses célèbres conférences.
Rencontre avec un penseur qui continue
à croire en la capacité des Français.
Dans Tout va mal… Je vais bien !,
vous nous relatez deux anecdotes
douloureuses. Elles ont en commun
d’impliquer des gens qui, à chaque
fois, ont placé des verrous à des
moments clés de votre vie. Vos
ouvrages, finalement, ne sont-ils pas
écrits pour nous donner des clés ?
Pour être tout à fait sincère, je n’avais
jamais vu les choses comme ça, mais
votre analyse psycho de ces deux
anecdotes m’amuse plutôt. C’est
effectivement une façon de voir les
choses. J’ai raconté ces deux histoires
personnelles au début du livre parce
qu’il est toujours intéressant de se
livrer un peu et de montrer à quel titre
on s’exprime. Après, au-delà du fait de
chercher à “déverrouiller”, j’essaie de
formuler surtout l’idée que la France
est bien plus belle que ne se l’imaginent
les Français eux-mêmes. Dans le titre,
j’insiste sur un paradoxe français : les
habitants vont plutôt mieux que le pays
lui-même, c’est une réalité qui suscite
l’étonnement des autres pays dans le
monde. Quand on interroge les Français,
ils se disent heureux, mais par contre ils
ne sont pas heureux de vivre ensemble.
De plus, ils sont très inquiets concernant
l’avenir de la France, alors qu’ils se
montrent plutôt rassurés quant à leur
avenir personnel. Le problème majeur
c’est qu’ils s’enfoncent dans la défiance
à l’égard de tout, de l’Europe mais aussi
du monde. À l’égard des autres et de
ceux qui ne leur ressemblent pas. Ce
sujet est éminemment politique, mais les
politiques ne le traitent pas. Il s’agirait
de pouvoir nous rassembler au-delà
de nos divergences. Tout cela vient de
l’absence de projet commun. Je le sais,
en tant qu’entrepreneur, vous pouvez
vivre collectivement la naissance d’un
projet dans l’adversité, mais le rêve de
le voir aboutir est toujours plus fort que
les contraintes qu’on vous impose. C’est
peut-être d’ailleurs l’une des choses qui
reste l’une des plus déverrouillées en
France : l’esprit d’entreprise. Et ça c’est
plutôt rassurant. La France n’a jamais été
aussi entreprenante, et notamment les
jeunes Français.
Qu’est-ce qui peut réactiver
l’enthousiasme des Français ?
Ce qui est étrange, c’est que cet
enthousiasme est assez facile à réactiver,
mais qu’il n’y a personne pour le faire.
Aujourd’hui, les Français en arrivent à
un point de rupture : ils en ont marre
d’en avoir marre. Ils en ont assez
de se dire qu’il n’y a plus d’attente,
plus d’avenir. Pour moi, ce qu’il faut
retrouver c’est l’envie de se battre. Ma
conviction c’est qu’on est surprotégé ;
on s’occupe tellement de nous qu’on
en perd nos défenses immunitaires. Du
coup, on a peur de tout. Dans mon livre
précédent, je rappelle cette différence
entre les Américains et les Français :
les Américains se lèvent le matin
en se disant “Pourvu qu’il m’arrive
quelque chose“, les Français eux se
disent “Pourvu qu’il ne m’arrive rien”,
c’est symptomatique. Ce principe de
précaution, il faut le faire sauter. Et
favoriser le sens de l’audace et du risque.
Je le dis souvent : surprotéger affaiblit,
entreprendre aguerrit.
Quand le rêve n’existe plus, la société
commence à se démolir. Le Français ne
croit surtout plus dans le pouvoir du
politique ni dans sa capacité à régler
les problèmes. Il se pose la question de
savoir comment faire sans lui, mais la
difficulté qu’il rencontre c’est qu’il est
difficile justement, dans la société telle
qu’elle a été pensée en France, de faire
sans lui – on ne connaît pas de pays
plus politique que la France ! Donc, il
vit dans cette phase de transition où
personne ne l’excite véritablement, avec
la conscience tout de même d’un regain
d’énergie, de l’existence de vrais talents
et d’un potentiel considérable à l’ère du
numérique. Ce que j’observe c’est que
lors de mes conférences – j’en donne
à peu près 120 par an –, je commence
avec des gens qui ont le moral dans les
chaussettes et qu’au bout d’une heure
et demi, ils ont envie d’en découdre
avec le monde entier. Nous sommes
donc tous prêts à repartir ! Je continue
donc de penser qu’il faut qu’un leader
charismatique émerge aussi bien de la
société civile que du politique parce que
la France peut se remettre en marche.
Elle l’a démontré si souvent…
En fin d’ouvrage, vous insistez sur
un mot essentiel : la bienveillance.
Cette bienveillance dépasse la notion
même de générosité. Elle est la prise
de conscience de l’existence de
l’autre.
La bienveillance est un mot très
puissant, pas si souvent utilisé, que
j’apparente aussi à la gentillesse, une
immense qualité. C’est un mot qui est
en train de prendre. Le « to be kind »
anglais.
« Gentle », également, un mot
anglais né du français.
Oui, et c’est amusant parce que certains
de ces mots anglais ne sont pas
forcément traduisibles en français. À ce
titre, au moment de l’édition de Ne me
dites plus jamais bon courage !, l’éditeur
a lancé un concours en ligne sur
l’expression qui pouvait remplacer « bon
courage ! ». Ce qui est intéressant, c’est
que malgré le millier de contributions,
personne n’a trouvé. Le mot « enjoy »
en anglais est un mot formidable parce
qu’il dit à la fois « amuse-toi », « prends
du plaisir » ou « jouis de la vie », dans
toute son intensité. Malheureusement
il ne connaît pas d’équivalent en
français… Pour en revenir à cette
notion de bienveillance, je pense que
la société française est naturellement
bienveillante, mais pour l’affirmer il
faudrait qu’elle s’aime déjà un peu plus
elle-même...