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TENDANCES
HIPSTER, L’ANIMAL
INSAISISSABLE
Par Vanessa Schmitz-Grucker
On le croise dans les rues, on le voit à la télé, on le retrouve dans
les équipes de handball ou de rugby. Il a fait l’objet de la première
collection homme de Kraemer, Sweet Fight. Il ? Qui donc ?
Mais le hipster, voyons ! L’homme d’aujourd’hui, fier de sa virilité,
mais ouvert à la conscience du monde. Dossier complet,
avec rappel historique, playlist et un test.
V
ous avez entendu parler des
hipsters, vous avez croisé des
hipsters et – qui sait ? – votre
fils est peut-être un hipster
mais vous n’avez toujours pas décodé
l’animal. Rassurez-vous, en demandant
simplement à votre entourage une défi-
nition du hipster, vous comprendrez bien
vite que vous n’êtes pas seul. Il y aurait
bien quelques signes qui ne trompent pas
mais le mot a tant et si bien été galvaudé
qu’il en devient difficile de le définir pré-
cisément.
Non, le hipster n’est pas un produit
contemporain. Si Sébastien Tellier pour-
rait passer pour l’archétype du hipster
d’aujourd’hui, le premier est, en réalité,
né il y a presque 100 ans, en 1920, à Kan-
sas City. Charlie Parker, monument du
jazz dans les années 40, est LA référence
du hipster. Déconcertant ? C’est pourtant
ce qu’affirme le spécialiste du jazz, Frank
Tirro dans son Jazz: History. Selon lui,
« Pour le hipster, Charlie Parker était la
référence ». Alors qu’on nous vendait le
hipster comme un descendant du bobo
(bourgeois-bohême), lui-même potentiel
descendant du hippie, l’Histoire nous
joue des tours. Voici notre hipster père-
fondateur de l’attitude hippie et bobo.
Pourtant, le hipster contemporain n’a
plus grand-chose à voir avec son ancêtre
amateur de jazz, marginal, désargenté et
enclin à la consommation de substance
illégale. Il ne vous aura peut-être pas
échappé que le terme hipster peut même
avoir une connotation dévalorisante
comme n’importe quel adjectif accolé à
un phénomène de mode. Car le hipster est
bel et bien un produit tendance. Cheveux
long élégamment négligés, barbe soignée,
style vestimentaire impeccable, tatouage
old-school, plus qu’un mode de vie, le
hipster est aujourd’hui avant tout un
véritable phénomène de mode. Mais la vie
de hipster n’est pas toujours facile pour
autant. Il faut souvent vivre aux crochets
de ses parents pour éviter de participer
à la folie capitaliste mais aussi pour se
consacrer à ses lectures philosophiques
et à quelques maladroits accords de
guitare. Le hipster a donc généralement
entre 16 et 25 ans mais il n’est pas rare de
rencontrer des spécimens plus âgés.
Sans être « mainstream », le hipster doit
tout savoir anticiper : il participait aux
manifestations anti-nucléaires avant
Fukushima, il faisait des dons pour Haïti
avant la catastrophe et s’était abonné
pour 10 ans – au moins – à Charlie Hebdo
bien avant le 7 janvier 2015. Bref, le
hipster consacre beaucoup de temps à
soigner sa culture G pour ne pas être pris
en flagrant délit d’ignorance. Et quand
bien même cela devait arriver, il a des
parades infaillibles – ou presque : « Allen
Ginsberg et la Beat Generation, oui,
excuse-moi, j’y étais pas ! Evidemment,
j’ai lu l’intégrale chez Christian Bourgois !
Ah la littérature du XVIIIe, qui ne connaît
pas ? » ou encore « Ah oui, ce Gondry là !
Nan, moi j’ai pas vu Eternal Sunshine
Of The Spotless Mind, trop tendance,
je préfère Conversation animée avec
Noam Chomsky, tu connais ? ». Plus
aisé, il arrive au hipster de ne pas finir
ses phrases ou d’esquiver une question
embarrassante en répondant par une
question encore plus alambiquée. Le
hipster n’admettra jamais en être un alors
pour retrouver l’animal dans la jungle,
voici quelques pistes :