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44 45 BEAUTÉ « Une fois entrée dans le salon, la cliente vit une double temporalité, paradoxale : dans l’instant et sur la durée. » cohérence avec un monde qui bouge sans cesse et épouse la réalité plurielle de son temps. Une fois entrée dans le salon, la cliente vit une double temporalité, paradoxale : dans l’instant et sur la durée. En effet, elle se livre au regard de sa communauté en temps réel sur les réseaux sociaux – Insta- gram, nous en parlions précédemment –, mais elle se met en quête d’éternité, celle qu’on associe à la beauté. Elle le fait dans l’intimité pour son entourage immédiat, seul garant de ce qu’elle est fondamentalement. On le constate, une double temporalité : instant et durée. Et une double adresse  :  communauté plus ou moins éloignée et entourage immédiat. Mais revenons à l’« instant », ce « point de la durée qui n’a lui-même aucune durée ». L’instant est fugace, or il contient une pro- messe d’avenir. Comme le dit l’écrivain Paul Valéry, « l’avenir est la partie la plus sensible de l’instant  ». C’est cet avenir, et naturellement cette part de sensible contenu dans l’instant, que le coiffeur se doit de tutoyer, de toucher du bout du geste. Comment s’y prend-il pour s’adap- ter à cette double temporalité ? Pour cela, nul secret  : il lui faut se projeter dans cette image doublement temporelle de sa cliente, dans un mouvement qui l’unit, le connecte littéralement à elle, et rien qu’à elle, avec la volonté de faire durer cet ins- tant, indéfiniment. Le sociologue David Le Breton disait que « face au monde, l’homme [et par conséquent la femme] n’est jamais un œil, une oreille, une main, une bouche ou un nez, mais un regard, une écoute, un toucher, une gustation ou une olfaction. » Le coiffeur doit épouser la somme de ces sens pour accéder à l’unité de la personne. Le temps joue en sa faveur  : l’écoute, le regard et le toucher qu’il saura invoquer entreront en résonance avec les sens de la personne, dans une situation quasi-fusionnelle non dénué de magie. Interrogez les clientes, elles vous le diront : tout cela commence dès le bac au moment du lavage. Ne serait-ce que le massage du cuir chevelu initial ouvre la porte à un monde de volupté… L’échange diagnostique qui suit n’en est que facilité, le processus est lancé. Quelle que soit sa durée finale, l’ensemble de la prestation constitue ce que nous pourrions qualifier d’«  instant de soi  », autrement dit cette forme sublime d’un instant étiré à l’infini, sensible et sen- suel, comme un long arrêt sur image, qui laisse libre court à une imagination démultipliée. Il est « pour soi » comme il est « pour chacun d’entre nous ». En cela, il concerne notre humanité tout entière, dans ce mouvement qui nous renvoie – bénéfice de ces temps étrangement so- laires – à l’universel. Une manière d’aller à rebours du phénomène d’accélération constant, sans le nier pour autant, mais lui donnant un sens nouveau : une tem- poralité nouvelle, lumineuse et extensible à souhait, à mi-chemin entre pureté de l’instant et éternité.