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42 43 BEAUTÉ “  L’avenir est la partie la plus sensible de l’instant».  ” Paul Valéry L La beauté de l’instant Par Emmanuel Abela La coiffure s’adapte à une nouvelle temporalité qui fait le lien entre délice de l’instant et l’éternité de la beauté. a question du temps se pose aujourd’hui comme la chose centrale de nos vies. À force de nous répéter que « c’est de l’argent », on finit par lui courir après comme une fuite éperdue. Notre ultra-connexion nous donne un sentiment d’omnipotence et d’ubiquité – nous nous déplaçons à la vitesse de la lumière et multi-conversons avec une foultitude de personnes connues et inconnues – ; des liens, des relations se forment, dont certains non négligeables. Bref, nous existons dans la multiplicité, et c’est plutôt heureux. Nous avons l’illusion de devenir les maîtres du temps, parce que nous gérons, en temps réel, tant de décisions : un coup de téléphone ici, un SMS là, un coup d’œil sur nos réseaux, un post en direct, un like, tout cela en « même temps ». Nulle réserve à cela –  nous ne rejoindrons pas ici la cohorte des censeurs  !  –, c’est l’époque qui le souhaite fortement, les jeunes générations, et parfois même les moins jeunes, sont programmées mentalement pour cela  : elles vivent la simultanéité de l’action comme une évidence, et sans forcément perdre ni en lucidité ni en cohérence, même si certaines études nous alertent à ce propos. Le monde s’en trouve rétréci, mais pour- quoi nous montrerions nostalgiques d’un temps pas si lointain où un coup de téléphone à l’autre bout de la Terre nous semblait chose impossible, où les dépla- cements prenaient autant de temps que le séjour lui-même, où l’information se résu- mait à la gazette du matin ou aux infor- mations télévisées. Aujourd’hui, tout nous semble merveilleusement accessible. La conséquence – et c’est le danger princi- pal – est une certaine uniformisation de nos habitudes, tout comme la négation des spécificités ou de la richesse de chacun. Mais l’on sait aujourd’hui que cette accé- lération du temps favorise aussi l’ému- lation planétaire  : un son électronique produit à la maison, dans un basement à Londres, à San Francisco ou à Séoul peut avoir une résonance dans le monde en- tier, donnant ainsi raison à la théorie de l’« effet papillon » telle qu’elle avait été énoncée de manière prémonitoire par le scientifique Edward Lorenz en 1972. Souvenons-nous, « Le battement d’ailes d’un papillon au Brésil peut-il provoquer une tornade au Texas  ?  » disait-il lors d’une conférence publique. On le sait au- jourd’hui, la réponse est « oui ». Ce bat- tement d’aile correspond à mille choses, le dessin d’un gamin dans sa chambre, un coup de pinceau sur une toile, le cro- quis de la voiture du futur, l’esquisse d’un nouveau quartier sur un plan, trois notes manuscrites dans un carnet Moleskine, la mise en boucle d’un beat en 128 bat- tements par minute sur un logiciel de montage son ou un simple clic sur un PC : les répercussions sont infinies dans un monde globalisé, où l’instantanéité est reine. Et la coiffure dans tout cela ? Elle garde ses codes, mais évolue avec son temps. Plus que jamais la femme d’aujourd’hui est libre  ; elle révèle les différents as- pects d’une personnalité complexe. Changeante, mouvante, émouvante, elle livre des parts d’elle-même au gré de ses envies. Elle aussi est ultra-connectée, elle se sent « concernée » par tout ce qui l’environne ; elle interprète la tendance, l’anticipe dans un mouvement incessant qui la place au centre des préoccupations. Elle s’expose et enrichit la mémoire de la mode avec ses posts réguliers. Lesquels constituent une base de données riche en enseignements sur les désirs qui la constituent : la personnalisation va dans le sens de l’immédiateté de la satisfaction du désir du moment, mais sa personnalité véritable, elle, s’appuie sur la somme de ces désirs satisfaits, comme si le puzzle se reconstituait à terme, et pas à pas. Il suffit de suivre certaines de nos amies sur Instagram pour le confirmer : la coupe du jour n’est pas celle du lendemain, et la va- riété des tentatives, plus que jamais, dit tout de son unité qui se décline à l’infini. En entrant dans le salon, la femme d’au- jourd’hui n’exprime plus une envie isolée, mais bien une multiplicité d’exigences –  double, voire une triple envie impli- cite. Chacune de ses exigences contient sa part de contradictions –  autant de contradictions à prendre en compte. Mais, avec sa soif de vitalité et son envie de renouvellement, elle reste en parfaite