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16 17 BEAUTÉ gueur des cheveux, à qui l’on attribue des capacités de « tentation » plus fortes. Marie-Madeleine, dans le rapprochement qu’on faisait d’elle avec une autre blonde illustre, l’Ève de la Genèse, se voyait ré- servée un sentiment particulier : en effet, purifiée du vice, elle ouvrait la voie à la Rédemption. Dans un mouvement para- doxal, sa blondeur signifiait tout à la fois son grand péché passé mais aussi sa nouvelle virginité. Ce mouvement double est clairement apparent dans le célèbre Retable d’Issenheim de Mathias Grü- newald, conservé au Musée Unterlinden, à Colmar : la longue chevelure de Marie- Madeleine d’un blond-roux scintillant semble infinie ; elle se prolonge bien en- deçà de fesses que couvre une épaisse robe orangée au plissé fin, tout comme le reste du corps  ; un voile transparent masque à peine la partie supérieure de son visage et ses yeux – signe d’un aveu- glement passé. Les marques d’affliction que manifeste l’ancienne prostituée sont à la hauteur du regret d’avoir pêché et de la tristesse qu’engendre la mort misé- rable de son sauveur. Derrière elle, la Vierge est lourdement voilée. Mais dans l’iconographie religieuse, elle ne tarde pas à révéler elle aussi, en tant qu’antithèse de l’Ève pécheresse, une blondeur qui la situe immaculée. Blondeur rebelle Cette nouvelle blondeur s’explique en partie par la tendance qu’impose la Re- naissance italienne. Qu’on se souvienne de la Naissance de Vénus, peint à la fin du XV e , soit 30 ans avant le Retable ; San- dro Botticelli y impose les critères esthé- tiques dont nous sommes aujourd’hui en- core les modestes tributaires : des boucles blondes amples et ondoyantes si longues que Vénus arrive à les utiliser pour pré- server – ultime réflexe de pudeur – son sexe de notre regard. Le peintre floren- tin s’inspire des femmes de son temps qui privilégient un teint pâle, laiteux et délicat, et un blond presque blanc, ob- tenu par décolorations successives. Le « nec plus ultra » de la beauté italienne, une «  profession de foi  » selon Joanna Pitman. Dès lors, la blondeur n’aura plus “ Étrangement, le féminisme émergeant dans les années de contestation de la fin des années 60 n’a pas cherché à nier le primat de la blondeur. ” Marilyn Monroe par Milton Green. Cliché issu de la série Ballerine de limite : elle s’impose comme le canon même d’une forme ultime de beauté. Et ça ne serait faire injure aux brunes que de l’admettre ainsi. Certaines images très récentes de Beyoncé, avec une chevelure couleur miel, rendent hommage à cette forme-là d’un glamour éternel, parfois rebelle. Malgré une brève résistance chez les maîtres d’Europe du nord au cours du XVII e , Van Dyck ou Rembrandt qui fa- vorisent le brun, le blond revient très vite en force avec l’avènement du néo-­ classicisme. Comme nous l’avons vu, la généralisation des thèmes mytholo- giques impose le retour à une blondeur rayonnante. Laquelle se maintient avec vigueur au moment de la naissance du cinéma. Qu’on se souvienne de nos pre- miers émois adolescents face à l’érotisa- Monica Vitti, icône du cinéma italien des années 60 tion des scènes les plus emblématiques du premier King Kong – le seul, le vrai, celui de 1933 ! – ; l’offrande de la Belle au gorille roi livre à notre regard émerveillé la blonde Ann Darrow, interprétée par Fay Wray. C’est bien sa blondeur qui a attiré les indigènes au point de vouloir l’offrir en sacrifice, une blondeur rayonnante qui, au moment son effeuillage par Kong marque l’unité de son corps blanc à celui de sa chevelure étincelante. En cela, elle devient la marque d’une libération qui ne tardera pas à être suivie par toute une génération de comédiennes hollywoo- diennes. Mais revenons un temps en ar- rière. Quelques deux années auparavant, une autre blonde avait provoqué une émo- tion particulière : celle qui interprète la jeune aveugle des Lumières de la ville de Charlie Chaplin en 1931 ; Virginia Cherrill compose un rôle virginal qui rompt avec la tendance blonde sulfureuse. La scène finale du film renvoie à la dimension proprement sacrale que Chaplin associe au miracle de cette aveugle qui désor- mais «  voit  » ce qu’elle n’avait su voir jusqu’alors. On le constate, qu’elle soit délurée ou plus raisonnée, la blonde est désormais reine. Marlene Dietrich, Greta Garbo, Grace Kelly, modèle de la blondeur hitc- kockienne au même titre que Kim Novak ou Tippi Hedren, et bien sûr Marilyn – Ah Marilyn  !  – conforment la suprématie blonde outre-Atlantique, relayée en cela par notre Brigitte Bardot nationale, fan- tasme planétaire absolu dans les années 60, Catherine Deneuve ou Monica Vitti. Cette dernière, égérie de Michelangelo Antonioni, alterne indifféremment et sans jamais perdre en éclat le blond dans L’Avventura (1960), le noir dans La Notte (1961), à nouveau le blond dans L’Éclipse (1962) et même le roux dans Le Désert rouge (1964). Étrangement, le féminisme émergeant dans les années de contestation de la fin des années 60 n’a pas cherché à nier le primat de la blondeur. Bien au contraire, il y a vu la possibilité d’une nouvelle affirmation de soi, et même d’une pro- fonde émancipation. À l’époque, le man- nequin le plus célèbre n’est autre que