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BEAUTÉ
gueur des cheveux, à qui l’on attribue
des capacités de « tentation » plus fortes.
Marie-Madeleine, dans le rapprochement
qu’on faisait d’elle avec une autre blonde
illustre, l’Ève de la Genèse, se voyait ré-
servée un sentiment particulier : en effet,
purifiée du vice, elle ouvrait la voie à la
Rédemption. Dans un mouvement para-
doxal, sa blondeur signifiait tout à la
fois son grand péché passé mais aussi sa
nouvelle virginité. Ce mouvement double
est clairement apparent dans le célèbre
Retable d’Issenheim de Mathias Grü-
newald, conservé au Musée Unterlinden,
à Colmar : la longue chevelure de Marie-
Madeleine d’un blond-roux scintillant
semble infinie ; elle se prolonge bien en-
deçà de fesses que couvre une épaisse
robe orangée au plissé fin, tout comme
le reste du corps ; un voile transparent
masque à peine la partie supérieure de
son visage et ses yeux – signe d’un aveu-
glement passé. Les marques d’affliction
que manifeste l’ancienne prostituée sont
à la hauteur du regret d’avoir pêché et
de la tristesse qu’engendre la mort misé-
rable de son sauveur. Derrière elle, la
Vierge est lourdement voilée. Mais dans
l’iconographie religieuse, elle ne tarde pas
à révéler elle aussi, en tant qu’antithèse
de l’Ève pécheresse, une blondeur qui la
situe immaculée.
Blondeur rebelle
Cette nouvelle blondeur s’explique en
partie par la tendance qu’impose la Re-
naissance italienne. Qu’on se souvienne
de la Naissance de Vénus, peint à la fin
du XV e , soit 30 ans avant le Retable ; San-
dro Botticelli y impose les critères esthé-
tiques dont nous sommes aujourd’hui en-
core les modestes tributaires : des boucles
blondes amples et ondoyantes si longues
que Vénus arrive à les utiliser pour pré-
server – ultime réflexe de pudeur – son
sexe de notre regard. Le peintre floren-
tin s’inspire des femmes de son temps
qui privilégient un teint pâle, laiteux et
délicat, et un blond presque blanc, ob-
tenu par décolorations successives. Le
« nec plus ultra » de la beauté italienne,
une « profession de foi » selon Joanna
Pitman. Dès lors, la blondeur n’aura plus
“ Étrangement, le féminisme
émergeant dans les années
de contestation de la fin
des années 60 n’a pas
cherché à nier le primat
de la blondeur. ”
Marilyn Monroe par Milton Green.
Cliché issu de la série Ballerine
de limite : elle s’impose comme le canon
même d’une forme ultime de beauté. Et
ça ne serait faire injure aux brunes que
de l’admettre ainsi. Certaines images très
récentes de Beyoncé, avec une chevelure
couleur miel, rendent hommage à cette
forme-là d’un glamour éternel, parfois
rebelle.
Malgré une brève résistance chez les
maîtres d’Europe du nord au cours du
XVII e , Van Dyck ou Rembrandt qui fa-
vorisent le brun, le blond revient très
vite en force avec l’avènement du néo-
classicisme. Comme nous l’avons vu,
la généralisation des thèmes mytholo-
giques impose le retour à une blondeur
rayonnante. Laquelle se maintient avec
vigueur au moment de la naissance du
cinéma. Qu’on se souvienne de nos pre-
miers émois adolescents face à l’érotisa-
Monica Vitti,
icône du cinéma italien
des années 60
tion des scènes les plus emblématiques
du premier King Kong – le seul, le vrai,
celui de 1933 ! – ; l’offrande de la Belle au
gorille roi livre à notre regard émerveillé
la blonde Ann Darrow, interprétée par Fay
Wray. C’est bien sa blondeur qui a attiré
les indigènes au point de vouloir l’offrir
en sacrifice, une blondeur rayonnante
qui, au moment son effeuillage par Kong
marque l’unité de son corps blanc à celui
de sa chevelure étincelante. En cela, elle
devient la marque d’une libération qui
ne tardera pas à être suivie par toute une
génération de comédiennes hollywoo-
diennes. Mais revenons un temps en ar-
rière. Quelques deux années auparavant,
une autre blonde avait provoqué une émo-
tion particulière : celle qui interprète la
jeune aveugle des Lumières de la ville de
Charlie Chaplin en 1931 ; Virginia Cherrill
compose un rôle virginal qui rompt avec
la tendance blonde sulfureuse. La scène
finale du film renvoie à la dimension
proprement sacrale que Chaplin associe
au miracle de cette aveugle qui désor-
mais « voit » ce qu’elle n’avait su voir
jusqu’alors.
On le constate, qu’elle soit délurée ou
plus raisonnée, la blonde est désormais
reine. Marlene Dietrich, Greta Garbo,
Grace Kelly, modèle de la blondeur hitc-
kockienne au même titre que Kim Novak
ou Tippi Hedren, et bien sûr Marilyn – Ah
Marilyn ! – conforment la suprématie
blonde outre-Atlantique, relayée en cela
par notre Brigitte Bardot nationale, fan-
tasme planétaire absolu dans les années
60, Catherine Deneuve ou Monica Vitti.
Cette dernière, égérie de Michelangelo
Antonioni, alterne indifféremment et
sans jamais perdre en éclat le blond dans
L’Avventura (1960), le noir dans La Notte
(1961), à nouveau le blond dans L’Éclipse
(1962) et même le roux dans Le Désert
rouge (1964).
Étrangement, le féminisme émergeant
dans les années de contestation de la fin
des années 60 n’a pas cherché à nier le
primat de la blondeur. Bien au contraire,
il y a vu la possibilité d’une nouvelle
affirmation de soi, et même d’une pro-
fonde émancipation. À l’époque, le man-
nequin le plus célèbre n’est autre que