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La problématique du derisking
L’action humanitaire en zones de conflit ou post-conflit peut aujourd’hui pâtir de la lutte
contre le terrorisme, notamment au niveau financier. Les obligations de vigilance et de
contrôle imposées au système bancaire et financier par la lutte contre le financement du
terrorisme conduisent les institutions financières à pratiquer le « derisking ». En d’autres
termes, compte tenu risques associés aux transactions financières effectuées dans certains
pays, par exemple la Syrie, les institutions financières préfèrent atténuer les risques en
évitant certaines zones, plutôt que d’y pratiquer une gestion des risques.
Ce phénomène touche sensiblement les ONG humanitaires qui interviennent dans des
zones de conflit, comme l’a souligné un récent rapport publié par le Collectif de
développement et secours syrien (CODSSY) : les informations recueillies, auprès de
vingt-cinq associations actives en Syrie et basées en France, qui représentent environ
60 % du total de ces associations, ont fait ressortir que 72 % des associations interrogées
avaient subi des rejets de virement, 45 % d’entre elles des clôtures de compte bancaire
et 30 % d’entre elles des refus d’ouverture de comptes.
Ce phénomène est constaté dans de nombreux pays tels que l’Irak, l’Afghanistan ou
encore les pays du Sahel et de la Corne de l’Afrique.
Or, ces difficultés d’accès aux services financiers peuvent être lourdes de conséquences
pour l’action des ONG, avec une forme de superposition entre crises humanitaires et
terrorisme, les zones les plus touchées par le terrorisme connaissant souvent
d’importants besoins humanitaires . Le retard dans la mise en œuvre des projets des
ONG voire l’impossibilité de les mener à bien a donc des effets immédiats sur les zones
concernées, mais aura aussi des effets probables sur le long terme et la sortie de crise des
pays touchés.
Le problème du derisking est particulièrement difficile à traiter et fait aujourd’hui d’une
vigilance soutenue, qui a conduit le ministre de l’Europe et des affaires étrangères à y
faire allusion dans son appel à l’action pour renforcer le respect du DIH et l’action
humanitaire.
III. LES CONSÉQUENCES : LE NON-RESPECT DU DROIT INTERNATIONAL
HUMANITAIRE A DES EFFETS DESTRUCTEURS DE LONG TERME
Si le DIH a vocation à s’appliquer dans le strict cadre des conflits armés, les
violations de ses règles ont très souvent des conséquences qui s’étalent sur le
moyen voire le long terme. Si la majorité des personnes qui ont besoin d’aide
humanitaire aujourd’hui sont dans cette situation du fait de catastrophes naturelles,
la majorité des crises humanitaires qui nécessitent une intervention internationale
sont dues aux conflits armés. Lorsque les États touchés par les crises humanitaires
sont aussi parties aux conflits, la place des organisations internationales et des ONG
prend une importance particulière. Comme l’a souligné en audition M. Aurélien
Buffler, chef de section conseil, politiques et planification au BCAH, la majorité
des victimes des conflits armés aujourd’hui sont touchées par l’impact indirect
des conflits armés (destruction des systèmes sanitaires, déplacements de
population…).