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une jurisprudence dense sur ce sujet (1) , et en juin 2017, la décision rendue par la
chambre d’appel de la CPI dans l’affaire Bosco Ntaganda a été très commentée.
Selon cette décision, le DIH ne contient pas de règle générale excluant
catégoriquement la protection des membres d’un groupe armé contre des crimes, y
compris le viol et l’esclavage sexuel, commis par des membres du même groupe
armé. Cette affirmation n’allait pas de soi, dans la mesure où l’on entend
généralement par crime de guerre les violations graves du DIH commises à
l’encontre de civils ou de combattants ennemis, et non à l’encontre de combattants
au sein de ses propres forces armées.
Pour autant, on observe aujourd’hui une utilisation des violences sexuelles
comme tactiques de guerre, au service de stratégies parfois très élaborées, afin
de terroriser les populations ou de provoquer des déplacements de populations
afin de s’approprier des territoires. Les violences sexuelles commises en temps
de conflit armé ont des conséquences dévastatrices sur la stabilité des communautés
touchées et peuvent être utilisées en ciblant les victimes selon leur appartenance
ethnique ou religieuse.
L’ONU entend par violences sexuelles liées aux conflits des actes tels que
les viols, l’esclavage sexuel et la prostitution, la grossesse, les avortements,
stérilisations et mariages forcés, « ainsi que toute autre forme de violence sexuelle
de gravité comparable, perpétrés contre des femmes, des hommes, des filles ou des
garçons, et ayant un lien direct ou indirect avec un conflit ».
La lutte contre les violences sexuelles dans les conflits armés soulève
une série de difficultés qui rend leur développement particulièrement
préoccupant.
De façon générale, il est très difficile d’obtenir des données chiffrées fiables
sur ce sujet. Le Secrétaire général des Nations Unies sur les violences sexuelles liées
aux conflits présente, dans son rapport annuel, une évaluation portant sur dix-neuf
pays disposant d’informations vérifiables, ce qui implique là encore une évaluation
inférieure à la réalité des faits. C’est dans ce contexte que l’ONG We Are Not
Weapons of War , dont vos rapporteurs ont auditionné la fondatrice et directrice
Mme Céline Bardet, a lancé la première étude mondiale sur le viol de guerre.
Partant du constat que la grande majorité des victimes n’était pas identifiée, l’ONG
a aussi créé un outil, le « backup », qui permet d’identifier et de repérer les victimes
de violences sexuelles et de se rendre jusqu’à elles pour leur apporter l’assistance
nécessaire. La mise en place de cet outil a déjà permis d’aboutir à une plainte
déposée en France concernant des crimes commis en Libye, et le projet se déploie
aujourd’hui sur cinq zones pilotes : Guinée, République centrafricaine, Mali, Irak,
Colombie.
(1) Voir notamment TPIY, Chambre de première instance, mai 1997, Le Procureur c. D. Tadic ; 16 novembre
1998, Le Procureur c. Z. Delalic, Z. Mucic, H. Zelic et E. Landzo , ; 10 décembre 1998, Le Procureur c/A.
Furundzija ; 22 février 2001, Le Procureur. c. D. Kunarac, R. Kovac et Z. Vukovic , IT-96-23-T & IT-96-23/1-
T ; TPIR, Chambre de première instance, 2 septembre 1998, Le Procureur c. J-P Akayesu .