Luxury Magazine LUXURY MAGAZINE #14 EDITION 2023 | Page 46

Notre société se trouve aujourd ' hui à un tournant .
Lors de l ’ émergence du numérique , le tableau semblait idyllique . Depuis , la machine semble s ’ être quelque peu emballée . En 2017 , le philosophe et écrivain français Éric Sadin évoquait déjà avec lucidité , dans son livre La Silicolonisation du monde , l ' apparition de ce qu ’ il nomme « l ’ industrie de la vie » : un nouveau genre d ’ économie trouvant sa source dans la Silicon Valley , vivant au rythme des algorithmes et de la récolte massive de données personnelles … avec la capacité potentielle d ’ impacter la souveraineté humaine .
En apparence , les évolutions technologiques semblent pourtant utiles : n ’ ont-elles pas été créées , en premier lieu , pour nous aider – à travailler de façon plus efficace , à améliorer nos performances , à gagner en temps , ou encore à garder le contact avec nos proches ? Ainsi , nous bénéficions aujourd ’ hui d ’ assistants personnels intelligents , de montres connectées pour sportifs , de systèmes de reconnaissance vocale , de traducteurs automatiques ... Mais l ’ adage ne dit-il pas que « l ’ enfer est pavé de bonnes intentions » ?

Notre société se trouve aujourd ' hui à un tournant .

Marchandisation de la vie : quand nos données sont bien plus que des données
Car derrière cette façade positive se cache une sombre réalité . Grâce à Internet et aux réseaux sociaux , aux applications et aux objets connectés , les géants du Web tels que les GAFAM ( Google , Apple , Facebook , Amazon , Microsoft ), les entreprises disruptives ayant imposé de nouveaux modèles économiques ( Airbnb , Uber , Netflix …), les leaders de la high-tech ou encore diverses startups du numérique exploitent nos données personnelles et gagnent ainsi des milliards de dollars par an . Comment ? En les revendant à des tiers , pour permettre aux annonceurs d ’ offrir des publicités ciblées .
Si de prime abord , les entreprises derrière ces objets et services semblent œuvrer à la création d ’ un monde meilleur , elles capitalisent cependant sur la manne de nos données personnelles , tirant profit de nos moindres faits et gestes . Et peuvent ( presque ) tout savoir de nous : voyages , penchants politiques , loisirs , état de santé , etc . Car nous laissons derrière nous des informations exploitables grâce à la puissance d ’ analyse des technologies de Big Data … alors que de nombreuses personnes sous-estiment encore aujourd ’ hui l ’ importance de leurs données personnelles .
Selon les prévisions du Forum économique mondial , le marché mondial des données devrait pourtant peser plus de 500 milliards de dollars d ’ ici 2024 . À l ’ instar du charbon à l ‘ époque de la révolution industrielle , ne serions-nous pas devenus la matière première de l ’ industrie numérique ? Le terme « ressources humaines » prendrait ici un tout autre sens … Car finalement , ne participons-nous pas tous à alimenter d ’ immenses bases de données , tenues par des groupes privés dont le contrôle paraît encore échapper à nos gouvernements ?
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