Luxury Indian Ocean LUXURY INDIAN OCEAN #7 EDITION 2018 | Page 88
BUSINESS
Le plus souvent, ces entreprises créatives sont orientées vers le textile
et affiliées à des ONG. « Les gens que je rencontre dans les foires
internationales associent généralement l’artisanat malgache à une
qualité exceptionnelle et à des pratiques éthiques », affirme Shirley
Dalais de Karina International, une entreprise mauricienne spécialisée
dans la confection de vêtements pour femmes et enfants, opérant à
Madagascar depuis 1999. Karina met à la disposition de ses employés
une cantine, une chambre spéciale pour les ouvrières qui allaitent et
des soins médicaux gratuits. Au-delà des besoins physiques de son
personnel, Shirley s’attache à donner à la culture malgache une place
d’honneur dans sa ligne de vêtements pour enfants, baptisée Tia &
Aïna (Amour et Vie en malgache). Pourvue de broderies et de dentelles
en filigrane, chaque pièce exalte le savoir-faire local et ses collections
racontent toute une histoire – celle des aventures de Tia et d’Aïna, d’un
bout à l’autre de la Grande Ile.
Les histoires de réussite sont légion : il suffit d’une simple recherche
sur Internet pour s’en rendre compte. Lancé en 2014 par l’Organisation
des Nations Unies pour le Développement Industriel (ONUDI), Tsara
en est un exemple. Projet innovant dont le but est d’initier les femmes
en milieu rural au commerce durable, Tsara emploie actuellement
plus d’un millier de femmes et a développé son propre programme de
maîtrise. La sécurité qu’offre ce type d’organisations internationales
est double : elle permet aux artisans de mieux se prémunir contre la
contrebande et procure un gagne-pain aux femmes de la campagne
qui, selon la coutume, n’ont pas droit à la propriété foncière. Exerçant
leurs mains habiles à la broderie et à l’artisanat, ces dernières peuvent
vivre décemment de leurs créations. Une autre belle histoire mêlant
textile, émancipation et préservation de l’environnement est celle
de SEPALI, l’association des ouvriers malgaches de la soie. En
partenariat avec l’organisation américaine Conservation through
Poverty Alleviation, plus connue sous le sigle CPALI, l’ONG locale
vise à aider les agriculteurs à produire de la soie artisanale à partir de
papillons endémiques. Elle est active dans l’aire protégée de Makira.
Les communautés limitrophes de ce parc national s’étant appauvries du
fait des restrictions de chasse dans la zone protégée, SEPALI/CPALI
travaille à assurer un revenu de 60 à 200 dollars par habitant par le biais
de la culture de soie durable. Ainsi, les habitants prennent soin des vers
à soie, plantent les arbres hôtes, fabriquent la soie et se nourrissent des
cocons riches en protéines. Au vu de l’engouement croissant pour la soie
sauvage de Madagascar sur le marché mondial, SEPALI est promis à
un bel avenir.
Dans les grandes villes d’Europe et d’Amérique, où se tiennent
régulièrement des foires dédiées à l’art et l’artisanat indigènes, les
artisans malgaches ont su capter l’attention. Dans un article du New
York Times paru cette année, Marie Alexandrine Rasoanantenaina
fait valoir ses superbes paniers et tapis en tige de vétiver, qui avaient
largement séduit au International Folk Art Market. Enfant, Marie
Alexandrine fabriquait des sous-vêtements à partir des chutes de tissu
que lui laissait sa grand-mère. Aujourd’hui, elle met à profit la flore
malgache dans la panoplie de tapis, de couvertures, de paniers et de
sacs qu’elle confectionne. Elle a fondé sa propre entreprise, composée
d’une trentaine d’employées, ainsi qu’une ONG visant à promouvoir
l’artisanat local. Un brillant exemple, parmi tant d’autres, de l’excellence
malgache !
Tourisme éthique à Madagascar
Commencez par vous rendre dans un de ces commerces familiaux,
comme celui de Miniature Mamy à Antsirabe. Gérée par M. et Mme
Rajamason, cette boutique propose de petites sculptures en matériaux
recyclés ou en corne de zébu. Ces deux types de production sont le
reflet direct de la réalité économique à Madagascar. D’une part, le
recyclage est crucial dans la Grande Île (même s’il n’existe à ce jour
aucune industrie de recyclage à proprement parler), car l’importation
88
de matériaux neufs coûte cher. D’autre part, si le zébu est surtout élevé
pour sa viande, toutes les parties de l’animal peuvent servir : une fois
extraite de la chair, la corne est transformée en fertilisant, en nourriture
à bestiaux ou en poudre médicinale.
Poursuivez votre voyage à travers différents villages. À une centaine
de kilomètres au sud d’Antsirabe, vous découvrirez Ambositra et
sa population de 25 000 Zafimaniry, un peuple dont le savoir-faire
du travail du bois est inscrit au patrimoine culturel immatériel de
l’UNESCO. Les mains des Zafimaniry produisent de véritable trésors
en bois, aux motifs géométriques rappelant les rôles des membres de
la communauté, ainsi que les influences arabes et austronésiennes de
cette ethnie. Ils utilisent vingt différentes essences d’arbres endémiques,
attribuant un usage spécifique à chaque bois. Habitations et tombeaux
y sont entièrement construits par assemblage à tenon et mortaise, sans
l’ombre d’un clou ni de raccord métallique.
Dans les villes de Betioky et d’Ampanihy, vous ferez la connaissance
des Mahafaly, connus pour leurs tombeaux en pierres de couleur et leurs
poteaux en bois sculptés. Située au Centre-Sud de l’île, la communauté
des Betsileo est, quant à elle, spécialiste des linges décoratifs finement
tissés dans du raphia et des chapeaux de paille multicolores. Répartis
entre Manakara et Farafangana, les Antemoro ont longtemps été les
seuls à savoir écrire et les premiers à transcrire la langue malgache. Ils
utilisent l’écorce des mûriers sauvages pour fabriquer du papier. Ne
repartez pas sans l’un de leurs magnifiques signets en écorce et en
fleurs pressées. Ampanihy est une étape incontournable, où vous vous
émerveillerez devant les tapis en mohair fabriqués à la main, qui ne
comptent pas moins de 70 000 nœuds au m 2 .
En souvenir de votre visite, vous souhaiterez certainement ramener
une nappe traditionnelle de Madagascar. Gardez en mémoire l’histoire
et les efforts qui ont donné naissance à ce précieux morceau de tissu.
Coton, raphia et soie de qualité ont été – et sont encore – les pierres
angulaires de l’identité socio-ethnique de Madagascar. Le textile
joue un rôle important dans les coutumes politiques et les croyances
métaphysiques. Partout, des étoffes sont offertes aux dirigeants, aux
ancêtres et aux esprits en échange de leur bénédiction – comme une
manifestation physique du hasina, cette puissance sacrée qui renforce les
liens humains. Ce tissu que vous tenez entre les mains, c’est un morceau
d’histoire.