La Sultane N55 | Page 38

Origine d ’ un phénomène La naissance de la SAPE ne peut pas être dissociée de l ’ histoire de la fripe . Dès les années 1860 , donc avant même le début de la colonisation , la fripe européenne pénètre les marchés d ’ Afrique de l ’ Ouest . Les récits de voyages des explorateurs décrivent , dans des textes moqueurs et racistes comme on peut s ’ y attendre de l ’ époque , ces « noirs qui s ’ habillent , qui s ’ accoutrent avec des vêtements d ’ Européens de bric et de broc ». On commentait alors comment s ’ habillaient les populations autochtones comme pour rire de ces sauvages s ’ emparant des vêtements européens , sans pour autant en saisir les codes . La réalité qui prenait forme , était en réalité toute autre . L ’ arrivée de la fripe allait , en fait , permettre la transgression des codes vestimentaires européens . Les Africains , se jouant du regard de l ’ autre , allaient mettre en place des interactions différentes qui commenceront à inquiéter les colons dès les années 1900 . À partir de là , les récits moqueurs allaient se transformer en propos réprobateurs . En effet , les indigènes ayant accès à des pièces élégantes et de qualité , bousculent les valeurs hiérarchiques et sociales . Dorénavant , les domestiques africains s ’ habillent aussi bien que leurs maîtres . Dans une Afrique dépossédée de son identité , les « boys » se créent une situation sociale en affichant le contenu de leurs vestiaires . Dès
judicieux de faire le parallèle avec d ’ autres phénomènes du 20 e siècle , à l ’ instar des Teddy Boys . Jeunes britanniques issus de la classe populaire des années 50 , ces derniers dépensaient de façon somptuaire dans leurs tenues . Ils refusaient que leurs habits les confinent à un statut social inférieur . Ils rejetaient leur statut d ’ ouvriers , de dockers , de travailleurs d ’ usine et portaient les « vêtements du dimanche » toute la semaine . Toujours au 20 e siècle , mais cette fois aux États-Unis des années 40 , nous retrouvons un autre phénomène encore plus proche de la SAPE . À savoir le mouvement des zoot suits . Ses membres , les zoot suiters ou encore les zooter , sont issus de la culture afro-américaine et des immigrés latinos et philippins . Il s ’ agit donc là d ’ une jeunesse subissant une grande marginalité sociale et économique . Elle va , elle aussi , sur-investir dans les vêtements en porter des tenues trop amples , des pantalons trop longs , des vestes trop larges . L ’ Amérique est , à cette époque-là , rappelons-le , en pleine guerre mondiale . Mais les jeunes zooters clamaient , à travers leurs costumes , leur mépris pour les rationnements sur les textiles et les pénuries accompagnant l ’ effort de guerre . Ils affichaient leur attachement à la vie nocturne et à la culture jazz , favorisant l ’ amusement au détriment du devoir patriotique . Il n ’ est pas question de travailler avec les mains dans un refus flagrant des conditions économiques et un jeu manifeste avec les codes de la réussite américaine . La dépense faite dans le tissu est associée à du gaspillage par le reste de la société . Les zooters ayant été victimes de violences répétées de la foule , leurs tenues ont été interdites pendant la durée de la guerre .

Origine d ’ un phénomène La naissance de la SAPE ne peut pas être dissociée de l ’ histoire de la fripe . Dès les années 1860 , donc avant même le début de la colonisation , la fripe européenne pénètre les marchés d ’ Afrique de l ’ Ouest . Les récits de voyages des explorateurs décrivent , dans des textes moqueurs et racistes comme on peut s ’ y attendre de l ’ époque , ces « noirs qui s ’ habillent , qui s ’ accoutrent avec des vêtements d ’ Européens de bric et de broc ». On commentait alors comment s ’ habillaient les populations autochtones comme pour rire de ces sauvages s ’ emparant des vêtements européens , sans pour autant en saisir les codes . La réalité qui prenait forme , était en réalité toute autre . L ’ arrivée de la fripe allait , en fait , permettre la transgression des codes vestimentaires européens . Les Africains , se jouant du regard de l ’ autre , allaient mettre en place des interactions différentes qui commenceront à inquiéter les colons dès les années 1900 . À partir de là , les récits moqueurs allaient se transformer en propos réprobateurs . En effet , les indigènes ayant accès à des pièces élégantes et de qualité , bousculent les valeurs hiérarchiques et sociales . Dorénavant , les domestiques africains s ’ habillent aussi bien que leurs maîtres . Dans une Afrique dépossédée de son identité , les « boys » se créent une situation sociale en affichant le contenu de leurs vestiaires . Dès

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