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Justement , à propos de composition , nous savons qu ’ il pose un motif principal , qui devient le sujet central de la toile . Au cœur de sa peinture , des couleurs finissent par donner naissance à des figures cernées de noir , avant qu ’ elles-mêmes se voient attribuées des satellites , de nouveaux motifs à l ’ infini . Il confirme la pratique , tout en lui accordant plus de liberté encore : « Je travaille d ’ abord la couleur , nous explique-t-il . Je prends les couleurs sorties du pot . Je les pose sur la toile , ça fait une composition presque abstraite , au départ , qu ’ ensuite je cerne de noir . J ’ aimerais parfois m ’ arrêter à la couleur . Le trait noir est celui du maniaque , je ne peux plus m ’ arrêter . J ’ entoure les formes et les taches et ainsi apparaissent de nouvelles formes puis il peut y avoir des superpositions car le premier niveau ne me satisfait pas , puis je peux ajouter des graphismes , des ornementations , des motifs comme des enluminures , mais aussi des écritures des mots des signes … On peut dire que je suis un remplisseur d ’ espace . » Oui , un remplisseur frénétique , qui imbrique des formes issues du chaos , comme des univers qui se rencontrent : un chaos central et des chaos annexes . Le dessin proliférant , tracé en noir au pinceau , fait apparaître corps , objets , lieux et situations . Le récit est cerné d ’ arabesques et superpositions – on peut y voir des réminiscences de son « sud », lui le méridional –, même si le peintre semble attaché au fait que le tout soit lié .
Son œuvre donne le sentiment de s ’ étendre à l ’ infini , comme la somme de tous ses tableaux , réunis en un immense puzzle . « Quand je commence un tableau , nous avoue-t-il au détour de la conversation , c ’ est comme si je rentrais dans un labyrinthe . Il faut trouver la sortie et ce n ’ est jamais pareil . » On sent chez lui une folie du dessin , une frénésie , un foisonnement qu ’ on retrouve chez Picasso ou Pierre Alechinsky . Le geste semble irrépressible comme une nécessité absolue . Il poursuit : « Dans ma peinture , je me laisse la liberté de faire ce que je veux quand je veux comme je veux . Je continue à faire de la Figuration libre . »
Peindre pour lui c ’ est travailler , il ne sait faire que cela , ce qui n ’ est pas sans provoquer quelque souffrance parfois . Mais le besoin physique demeure : produire , produire encore , faire constamment . « Peindre n ’ est pas une partie de plaisir . Les artistes en souffrent beaucoup même si ça ne se voit pas forcément . Je ne peins pas par plaisir , je ne sais rien faire d ’ autre , je ne fais rien d ’ autre que créer . Autrement dans la vie normale je suis un inadapté . Et plus encore aujourd ’ hui , car je me sens dépassé

36 par les technologies . Les gens consomment des images , ils ne prennent plus le temps de regarder . Et la peinture , ça se voit en vrai . » En effet , rien ne remplace l ’ expérience d ’ une peinture vue « en vrai », pour de vrai comme diraient les mômes ; une peinture ça s ’ approche , ça se scrute dans les moindres détails , ça s ’ apprivoise , ça se cajole et ça se vit . Et force est de constater cette étonnante vitalité dans les peintures de Robert Combas ; il nous invite à y entrer , quitte à nous y perdre tant la variété des ornements , des nouvelles figures humaines ou animales , apparaissant et disparaissant , est riche . Elles sortent de lui , s ’ impriment sur la toile , sans qu ’ il ne leur laisse trop d ’ espace . Il se glisse dans les interstices – est-ce la peur du vide ? – d ’ un acte créateur sans fin , avec ses extensions intérieures et extérieures infinies . On se souvient de Marcel Duchamp qui exprimait , en 1953 , l ’ idée que « l ’ artiste agit à la façon d ’ un être médiumnique qui , du labyrinthe par-delà le temps et l ’ espace , cherche son chemin à travers la clairière . » Avec Robert Combas , peut-être tenons-nous là l ’ une des plus belles expressions de cet acte créateur cher à Marcel Duchamp . Le labyrinthe est là , il le formule lui-même , la clairière – ou la « sortie » selon ses propres termes – devient une quête en direction de l ’ irrésolu .

HUMAIN , TROP HUMAIN
Se pose la question du sens : un sens diffus , parfois caché dans le détail , un thème , une bataille , un mythe . Et puis , une forme de dérision , comme si tout cela n ’ était pas très sérieux , en tout cas à ne pas prendre trop au sérieux , finalement . La prolifération lui permet sans doute de se dissimuler avec une double finalité , celle d ’ affirmer la vanité du sens et la vanité de l ’ existence .
Des textes interviennent sous la forme d ’ interjections , de mots , de phrases dans sa peinture . Cherche-t-il à nous interpeller ? « Au départ , j ’ ai voulu offrir aux gens qui achetaient ma peinture un titre comme un cadeau bonus . Pour les peintres des générations avant les nôtres qui mettaient beaucoup de discours pour expliquer leurs démarches , le “ sans titre ” était la règle . Un peu en réaction à cela , j ’ ai fait des titres très longs qui peuvent donner une explication du tableau à ma façon . Cela m ’ a permis aussi de créer une rigueur avec les mots . À chaque tableau un titre : cela fait aussi beaucoup d ’ écriture dans mon œuvre . » On ne peut s ’ empêcher d ’ y voir une allusion à certaines œuvres dadaïstes qui mêlaient titre , écriture et petits jeux de mots à même la toile , quitte à en faire le sujet du tableau . « Oui , s ’ amuset-il , l ’ humour dadaïste m ’ a toujours fait rire . J ’ écris les textes en général sans réfléchir , je pratique l ’ écriture automatique . À Sète , dans ma ville , on a un langage particulier , mes textes affirment mon côté “ sudiste ” car je m ’ étais exilé à Paris . »