L’impuissance
Qui parmi nous ne s’est jamais
senti impuissant comme aidant ?
Impuissant devant la souffrance,
qu’elle soit physique ou morale;
impuissant devant le rythme de
l’autre; impuissant devant les
limites réelles de ce que nous
pouvons faire pour aider la
personne. Étant donné que le
seul pouvoir que nous ayons est
celui de nous prendre en charge
et nous changer, il est inévitable
que dans toute relation d’aide,
nous rencontrions l’impuissance :
celle de prendre l’autre en charge
et de le changer.
Lorsque nous nous défendons de
vivre ce sentiment, que nous refusons de l’accueillir en soi et de
l’écouter, nos mécanismes de
défense peuvent alors prendre la
forme du contrôle sur l’autre, de la
prise en charge excessive, de
vouloir changer l’aidé à tout prix
en utilisant parfois la culpabilisation : «Si tu voulais vraiment aller
mieux tu ferais ceci ou cela».
Nous pouvons aussi tomber dans
l’autre pôle, c’est-à-dire l’évitement et le désinvestissement
dans la relation thérapeutique.
Tous ces mécanismes sont
normaux devant notre souffrance
d’impuissance. Mais comme
dans tout fonctionnement de la
sorte, ils finissent par entraver la
relation thérapeutique et nous
éloignent
également
de
nous-mêmes. Ces réactions
défensives inconscientes nous
empêchent aussi de prendre soin
de nous, ainsi que de l’émotion
réelle sous-jacente à l’origine de
celles-ci. Derrière ce sentiment
d’impuissance, il y a la peur de
perdre, la culpabilité, la peur d’accueillir la souffrance et souvent,
un grand besoin de sécurité,
d’amour et d’écoute.
L’infériorité
Il s’agit du sentiment associé au
fait de ne pas se sentir à la
hauteur, sentiment que nous
portons tous plus ou moins fortement selon notre éducation et
nos blessures, et qui est souvent
déclenché par l’interaction avec
nos aidés. Encore une fois, ce
sentiment est le reflet de notre
vulnérabilité humaine et doit être
accueilli et non combattu. Quand
nous combattons notre sentiment
d’infériorité, nous nous défendons
dans le faire et l’activisme. Nous
devenons alors le thérapeute qui
s’en demande trop, qui perd ses
limites, qui en donne trop et qui
n’arrive pas à se reconnaitre.
Nous tombons dans le piège de
la comparaison avec nos collègues, de la performance ainsi que
de la prison du perfectionnisme.
L’infériorité non accueillie peut
aussi nous amener à nous
défendre en s’affichant comme
étant un personnage de supériorité, et en nous coupant de notre
sensibilité et de nos peurs. L
‘aidant se défend alors, inconsciemment, en se rigidifiant, en
dominant l’autre, et en ne se
remettant plus en question par
peur inconsciente de toucher à
son doute et son infériorité.
Derrière l’infériorité, il y a tant de
souffrances à écouter, tant de
peurs et souvent un grand besoin
d’amour et de reconnaissance.
LES RISQUES DE NE PAS
ÉCOUTER ET ACCUEILLIR SA
VULNÉRABILITÉ COMME
AIDANT
L’aidant qui ne se connait pas et
qui ne s’aime pas, qui ne comprend pas son monde intérieur et
qui n’en prend pas la responsabilité, ne peut transmettre ce même
amour et acceptation à son aidé.
Nous ne pouvons donner aux
autres que ce que nous avons
nous-mêmes reçu et ce que nous
nous donnons encore. Ainsi, un
aidant qui se nie, qui se refoule,
qui se perd dans ses techniques
au détriment de l’accueil et de
l’écoute de son monde intérieur,
arrivera inévitablement un jour ou
l’autre à une impasse intérieure et
professionnelle. Combien de
personnes dans le secteur des
soins de la santé sont malades,
épuisées,
déprimées...Nous
pourrions dire que c’est la
«nature» du travail qui crée cela,
mais je dirais plutôt qu’il origine
d’un mauvais soin de la personne
qu’est l’aidant.
Les conséquences et les risques de ne pas
s’accueillir, ni prendre soin de son
vécu vulnérable est de se perdre
dans son travail et de ne plus
reconnaitre ses besoins et ses
limites. Ceci mène la personne
vers un épuisement professionnel, épuisement qui prend sa
source dans les besoins non
écoutés et non répondus de
l’aidant. Un autre risque qui nous
guette est celui de se couper de
toute forme de vulnérabilité à
force de ne plus savoir comment
la gérer, quoi faire avec, par peur
du jugement ou de la perte.
L’aidant devient alors un bon
technicien dont le coeur est fermé
à ses aidés. Plus les années
passent, plus leurs murs se
durcissent et moins l’aidant est
nourri par son métier.
(suite page 20)
ERG-GO! Revue des ergothérapeutes du Québec - Janvier 2014 - Numéro 1
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