JANVIER 2014_NO.1 | Page 19

L’impuissance Qui parmi nous ne s’est jamais senti impuissant comme aidant ? Impuissant devant la souffrance, qu’elle soit physique ou morale; impuissant devant le rythme de l’autre; impuissant devant les limites réelles de ce que nous pouvons faire pour aider la personne. Étant donné que le seul pouvoir que nous ayons est celui de nous prendre en charge et nous changer, il est inévitable que dans toute relation d’aide, nous rencontrions l’impuissance : celle de prendre l’autre en charge et de le changer. Lorsque nous nous défendons de vivre ce sentiment, que nous refusons de l’accueillir en soi et de l’écouter, nos mécanismes de défense peuvent alors prendre la forme du contrôle sur l’autre, de la prise en charge excessive, de vouloir changer l’aidé à tout prix en utilisant parfois la culpabilisation : «Si tu voulais vraiment aller mieux tu ferais ceci ou cela». Nous pouvons aussi tomber dans l’autre pôle, c’est-à-dire l’évitement et le désinvestissement dans la relation thérapeutique. Tous ces mécanismes sont normaux devant notre souffrance d’impuissance. Mais comme dans tout fonctionnement de la sorte, ils finissent par entraver la relation thérapeutique et nous éloignent également de nous-mêmes. Ces réactions défensives inconscientes nous empêchent aussi de prendre soin de nous, ainsi que de l’émotion réelle sous-jacente à l’origine de celles-ci. Derrière ce sentiment d’impuissance, il y a la peur de perdre, la culpabilité, la peur d’accueillir la souffrance et souvent, un grand besoin de sécurité, d’amour et d’écoute. L’infériorité Il s’agit du sentiment associé au fait de ne pas se sentir à la hauteur, sentiment que nous portons tous plus ou moins fortement selon notre éducation et nos blessures, et qui est souvent déclenché par l’interaction avec nos aidés. Encore une fois, ce sentiment est le reflet de notre vulnérabilité humaine et doit être accueilli et non combattu. Quand nous combattons notre sentiment d’infériorité, nous nous défendons dans le faire et l’activisme. Nous devenons alors le thérapeute qui s’en demande trop, qui perd ses limites, qui en donne trop et qui n’arrive pas à se reconnaitre. Nous tombons dans le piège de la comparaison avec nos collègues, de la performance ainsi que de la prison du perfectionnisme. L’infériorité non accueillie peut aussi nous amener à nous défendre en s’affichant comme étant un personnage de supériorité, et en nous coupant de notre sensibilité et de nos peurs. L ‘aidant se défend alors, inconsciemment, en se rigidifiant, en dominant l’autre, et en ne se remettant plus en question par peur inconsciente de toucher à son doute et son infériorité. Derrière l’infériorité, il y a tant de souffrances à écouter, tant de peurs et souvent un grand besoin d’amour et de reconnaissance. LES RISQUES DE NE PAS ÉCOUTER ET ACCUEILLIR SA VULNÉRABILITÉ COMME AIDANT L’aidant qui ne se connait pas et qui ne s’aime pas, qui ne comprend pas son monde intérieur et qui n’en prend pas la responsabilité, ne peut transmettre ce même amour et acceptation à son aidé. Nous ne pouvons donner aux autres que ce que nous avons nous-mêmes reçu et ce que nous nous donnons encore. Ainsi, un aidant qui se nie, qui se refoule, qui se perd dans ses techniques au détriment de l’accueil et de l’écoute de son monde intérieur, arrivera inévitablement un jour ou l’autre à une impasse intérieure et professionnelle. Combien de personnes dans le secteur des soins de la santé sont malades, épuisées, déprimées...Nous pourrions dire que c’est la «nature» du travail qui crée cela, mais je dirais plutôt qu’il origine d’un mauvais soin de la personne qu’est l’aidant. Les conséquences et les risques de ne pas s’accueillir, ni prendre soin de son vécu vulnérable est de se perdre dans son travail et de ne plus reconnaitre ses besoins et ses limites. Ceci mène la personne vers un épuisement professionnel, épuisement qui prend sa source dans les besoins non écoutés et non répondus de l’aidant. Un autre risque qui nous guette est celui de se couper de toute forme de vulnérabilité à force de ne plus savoir comment la gérer, quoi faire avec, par peur du jugement ou de la perte. L’aidant devient alors un bon technicien dont le coeur est fermé à ses aidés. Plus les années passent, plus leurs murs se durcissent et moins l’aidant est nourri par son métier. (suite page 20) ERG-GO! Revue des ergothérapeutes du Québec - Janvier 2014 - Numéro 1 19