Gang de Biches Numéro 4 - Mars/Avril 2019 | Page 36
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- Survivre dans le monde impitoyable des tendances -
LE FABULEUX DESTIN
DU LEGGING
Marion Le Guenic
Q
u’il t’ait accompagnée en primaire paré de ses
plus beaux motifs, pendant ta crise d’adolescence
couplé à de délicieuses ballerines ou encore dimanche
dernier lors de ta session ménage, le legging a le
mérite d'avoir traverser les années. Que tu le veuilles
ou non, ce bête caleçon moulant a une histoire, des
haters et peut même être considéré comme un reflet de
la société. Oui, tout ça pour un bout Lycra !
LA PETITE HISTOIRE DU « SANS PIED »
La renommée du legging à travers l’histoire pourrait
être comparée à la météo sur la côte bretonne : très
changeante. À la Renaissance, réservé aux hommes et
nommé « bas », il est fait de laine et est uniquement
porté par la bourgeoisie accompagné d’une petite
redingote. Plus de 400 ans plus tard, suivant l’invention
du Lycra (la fibre synthétique élastique), le caleçon
fait son apparition chez les femmes. Ses premiers pas
coïncident avec l’émancipation des femmes et l’arrivée
du pantalon dans leurs gardes-robes. Mais ce sont les
années 80 et l’explosion de l’aérobic, cette gymnastique
à base de body fluo popularisée par l’américaine Jane
Fonda, qui lui offrent sa première heure de gloire. La
femme se sent alors libre de s’afficher corps moulé et
front suintant à la face du monde (et des hommes).
Notre petit bout de tissu sans pied tombe par contre
en peu de temps dans la ringardise, trop attaché à son
époque, sans que les punks des 90’s ne se l’approprie
complètement. Mais ô joie ! Au début des années 2000,
grâce à la magie de l’anglicisme, le caleçon devient
« legging » et d’un coup d’un seul, il gagne en style.
On le voit partout, sur toutes les femmes, dans tous
les styles et il engendre alors la brûlante question
qui divisera les opinions : peut-on porter le legging
sans rien par-dessus ? Autant que ses camarades
les ballerines ou le pantacourt, il fait partie de ces
vêtements qui divisent. Comble du confortable pour
certaines, c’est une abomination de laisser-aller pour
d’autres, nécessitant une inscription à Nouveau look
pour une nouvelle vie pour celle qui le portera. Après
avoir squatté les conversations et les rubriques mode,
il retombe tel un soufflé et est relégué assez vite dans
la catégorie « vêtement nostalgie ». Mais pendant cette
dernière décennie, il s’est discrètement fait sa petite
place dans le monde du sport, remplaçant petit à petit
le jogging, et va vivre une nouvelle renommée dans
les années 2010. Pile au moment où le mode de vie
« sain » devient la nouvelle tendance, et dans lequel
la pratique du sport permet une réelle validation sociale,
tous les grands équipementiers développent le legging en
long et en large, pour tous les sports. Il est partout, enfin,
toujours sur les femmes !
UN DÉBAT SOUS LE LYCRA
Ce qui est sûr, c’est qu’il est confortable. Nu de toute couture
ou fermeture, il est chaud et tient tout en place. Mais ce qui
est aussi indéniable, c’est qu’il est moulant et donc, qu’il
dévoile les formes de sa propriétaire. Scandale..! Certaines
écoles, d’abord américaines puis françaises, ont interdit le
port du legging en cours, invoquant son effet révélateur qui
en ferait « une distraction pour les hommes », sexualisant
de ce fait les jeunes étudiantes. Dans le débat sur le
legging, il semble de nouveau y avoir une opposition entre
« celles qui peuvent et celles qui ne peuvent pas » en
porter, évidemment, encore pour une stupide question de
poids. La reine des compétitions fashion, Cristina Cordula,
le déconseille fortement à toute femme avec des formes
mais le trouve « parfait pour les jambes longues et fines ».
Dans un cas, il serait flatteur, dans l’autre, il ferait trop
ressortir cellulite et fesses flasques. Sans commentaire…
Un journaliste anglais lui, l’a même qualifié de « vêtement
gynécologique » à cause de son habilité à dévoiler le
fameux camel toe* à travers son tissu.
« Autant que les ballerines
ou le pantacourt, il fait
partie de ces vêtements qui
divisent. »
Du côté des USA, où la limite entre la tenue décontractée
et la tenue de ville est très fine, le legging de sport, appelé
yoga pants a déclenché un réel phénomène. Ce vêtement,
à la base destiné uniquement aux salles de sport, est porté
par les femmes qu’elles se rendent à une session de yoga,
ou non. Il devient alors un symbole d’appartenance à une
certaine classe sociale, au mode de vie impeccable et
plutôt aisé. Celle qui peut dire : « je me suis levée à 6h pour
aller à mon cours de Pilates, j’ai mangé un petit Açaï bowl
et là j’enchaîne avec du flying water yoga, tu connais pas ? »
Excessivement énervant... Il cristallise et glamourise l’idée
de femme sportive et attrayante à tout moment. Mais on
sait que pour la plupart d’entre nous, la seule motivation à
le porter est de profiter de son confort absolu. En témoigne
l’excellent sketch des comédiennes de l’émission Saturday
Night Live, qui parodie une publicité pour la vente d’un
nouveau legging spécialement dessiné « pour ce que font
vraiment les femmes dedans : glander sur leur canapé. »
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* littéralement, orteil de chameau, désigne la forme des
grandes lèvres qui apparaît sous les vêtements