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Le massage au Hammam par Edouard Debat Ponsan
Choix du métier : Derrière chaque métier se cache une histoire . La plupart du temps c ’ est l ’ histoire d ’ un choix , fruit de nombreux facteurs même si nous avons tendance à dire que l ’ on ne choisit pas son métier , qu ’ il s ’ impose à nous , parfois par obligation , souvent pour subvenir à nos besoins .
Pour ces femmes qui exercent le métier de laveuses de morts ( ghasselet mouta ) et celui de laveuses de femmes au hammam ( harza ), le symbole de purification est très important . Pour les unes , c ’ est la purification suite à la mort et pour les autres , c ’ est la purification dans la continuité de la vie .
Les deux métiers vont alors dans le même sens : la purification , le rituel de lavage , le rituel de l ’ ablution et l ’ élimination de la saleté .
Rapport au corps : Nous ne pouvons pas parler de ces deux métiers sans parler du rapport au corps et plus précisément de l ’ image du corps « nu » que ces femmes ont pris l ’ habitude de côtoyer au quotidien . Pour la plupart des femmes , le seul endroit où elles peuvent se purifier entièrement est le hammam , un lieu où elles peuvent se laver tout en communiquant et en tissant des liens sociaux . C ’ est un lieu où elles peuvent entretenir des discussions , se détendre et créer parfois des liens d ’ amitié . Le hammam est aussi un endroit qui a pour réputation d ’ accueillir les mères cherchant à marier leur fils . C ’ est l ’ occasion pour elles de repérer la jeune fille idéale , de voir si son corps ne présente pas de défauts et de faire son enquête auprès des autres femmes pour avoir des informations sur sa famille , son origine (« asl ») et surtout sa réputation . Au hammam , le corps est « vitrine » mais il est également considéré comme sacré dans l ’ islam . Il faut par conséquent toujours en prendre soin . Préserver le cadeau de Dieu , ne pas le détruire ni le mutiler , mais également le préserver des maladies , le soigner et bien sûr le purifier de toutes les saletés . Et cette purification en profondeur passe inéluctablement par le hammam . La harza , dont la tâche est avant tout d ’ aider à la purification du corps , peut devenir la confidente de la cliente au fil du temps . Cette dernière trouvera une oreille compatissante , une femme comme elle qui peut la comprendre et pourquoi pas la conseiller . Mais le plus souvent , la harza est taxée de bavarde , de mégère , et est accusée de colporter
et de diffuser des rumeurs . Et c ’ est précisément de là que vient l ’ insulte courante dans notre société faisant référence à une femme que l ’ on veut dénigrer : elle est comme une harza de hammam .
Par ailleurs , le métier de harza peut être source de joie , surtout lors de la cérémonie du hammam de la mariée . Sa tâche consistera à s ’ occuper de cette dernière et à la préparer pour le jour si attendu en lui prodiguant des conseils .
Par contre , le lavage mortuaire traite évidemment le corps du défunt comme un corps sans vie , sans âme . C ’ est surtout une expérience hors du commun que les gens évitent car ils ont peur de la mort et des morts . Il s ’ agit d ’ un sujet tabou qui dérange et qui pousse à réfléchir .
La place du regard : Ibn Rushd disait : « On n ’ est pas certain de ne pas porter le regard par inadvertance sur le corps nu d ’ autrui ». Le regard occupe une place importante dans le hammam : c ’ est le regard d ’ une femme porté sur une autre femme , sur son corps nu . Et le premier contact de la harza avec un corps nu n ’ est pas aussi facile que nous le croyons car
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