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’étais, l’autre jour, avec un ami, occupé à envisager l’avenir, à réfléchir sur notre place dans le
monde, à appréhender la course folle du temps,
à considérer les différents moyens qui pourraient nous permettre de nous élever dans notre
vie d’hommes, de futurs maris et pères... bref,
on glandait en terrasse d’un café. La conversation a glissé, sans qu’on s’en rende vraiment
compte, sur le choix binaire qui s’offre à nous
dans ce monde de chaos où nous sommes pris
à témoin toutes les deux secondes pour juger de
la validité d’un but de football ou de la longueur
d’une jupe. Nous sommes tombés d’accord, Zoun et
moi – oui, mon pote s’appelle Zoun –, pour admettre que
nous allions devoir choisir entre deux modes de vie assez
tranchés mais finalement pas si éloignés que ça l’un de
l’autre si nous voulions vivre en paix puisqu’il nous est,
en permanence, demandé de choisir un camp. La question était cruciale: allions-nous passer le reste de notre existence de manière halal
ou haram?
Les cheveux relevés
dégageaient la nuque et
offraient une vue impeccable
sur les épaules que les bretelles
n’arrivaient pas à entraver.
Nous avons longuement réfléchi. Alors, bien sûr, le halal, c’est la respectabilité, la place garantie au premier rang au Paradis, l’assurance de ne
jamais avoir mal aux cheveux un lendemain de fête. Oui, mais le haram,
c’est la liberté absolue – y compris celle de perdre toute dignité en n’arrivant plus à prononcer les consonnes au moment d’aborder la serveuse
en mini-jupe à cause de la dix-septième vodka-citron vert –, c’est les
sandwichs au jambon les pieds sur la table en regardant le prêche du
vendredi à la télé, c’est l’assurance d’épouser qui je veux à condition
que ma mère soit d’accord. Oui, mais le halal, c’est les voyages entre
copains, les contrées du levant, Alep, Damas, Mossoul, la franche camaraderie et la vie au grand air entre deux bombardements jordano-américains. Oui, mais le haram, c’est le plaisir de pouvoir regarder les filles
en toute impunité, de les siffler dans la rue, de leur coller la main aux
fesses dans le bus, de les traiter comme des souillons, des roulures, des
catins ou des traînées si elles tentent d’exprimer le moindre désir qui
ne soit pas directement raccordé à l’un des nôtres et, de préférence, de
manière synchrone...
Nous en étions là de notre puissante démonstration intellectuelle
lorsqu’elle parut. Elle? Je veux dire ELLE. Celle pour qui le genre féminin a été grammaticalement inventé. Zoun, qui est poète, a condensé
sa pensée en la qualifiant de «visage de princesse posé sur un corps de
pute». Je ne pourrais vous dire avec précision si son corps répondait
aux exigences du concours Elite… ou à celles des Hot d’Or. Avait-elle
le sein lourd ou le téton menu, la fesse en goutte d’huile ou pommelée,
la cuisse musclée ou fine? Rien de ce qui retient d’habitude immédia-
”
tement l’attention d’un esthète comme moi ne me semblait saillant.
Elle portait simplement la plus ravissante des robes d’été. Avec un peu
d’avance sur le calendrier car le printemps, bien entamé, laissait encore
souffler ce qu’il faut de vent pour faire danser les tissus de manière aussi
gracieuse que polissonne.
La robe s’arrêtait de manière idéale juste au-dessus du genou, à l’endroit
exact où le seul fait de marcher permet à l’étoffe de remonter un peu
plus haut, découvrant juste ce qu’il faut de cuisse. Resserrée à la taille,
elle marquait les hanches en descendant et s’évasait à mi-fesses afin
que les hommes qui la suivent puissent observer la naissance du postérieur et imaginer le reste. Largement ouverte dans le dos, elle ne laissait
aucun doute quant à l’absence de soutien-gorge; les cheveux relevés
dégageaient la nuque et offraient une vue impeccable sur les épaules
que les bretelles n’arrivaient pas à entraver. Le contraste entre le haut,
ajusté, presque immobile, et le bas, dansant à mesure que la propriétaire déployait ses jambes de compas, était saisissant. Le tissu était bien
évidemment uni, d’une couleur pastel qui laisse le beau rôle à la peau
légèrement brunie par le soleil. Aucun bijou ni colifichet de vendeur de
plage ne venait rompre la parfaite harmonie d’un vêtement qui se suffit
à lui-même puisqu’il est un écrin.
Zoun interrompit ma réflexion avec la classe qui le caractérise en permanence: «Quel cul! Tu crois qu’elle a une culotte?» Sans la quitter des
yeux alors qu’elle avait déjà tourné au coin de la rue, je laissais tomber,
en même temps qu’un gros soupir: «Quelle robe...» Zoun a levé un
sourcil, l’air vaguement dégoûté: «Tu serais pas devenu un peu pédé,
toi? Fais gaffe, c’est haram.»
Ibn Kuzman
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