Dossier
mariés jouent un peu à la roulette russe en organisant respectivement des veillées précédant
le jour J, au cours desquelles se manifestent de
généreux donateurs arborant des liasses de billets. Un genre de cagnotte qui aide à régler les
factures pendantes et à affronter les dépenses à
venir. Les dons sont nominaux et publics. Un
spectacle impressionnant accompagné de clameurs et de youyous. Cette parade, bien que
vulgaire en apparence, n’est pas fortuite. Elle
est même vitale pour les familles des mariés.
Et ce n’est pas de l’aumône, car ces dons sont
en réalité «des prêts à long terme». Ainsi, ce
système permet également aux généreux donateurs de faire face à leur tour aux célébrations
de leur progéniture, un de ces quatre.
Issue du quartier populaire du 5-Décembre au
Kram, Fathia, 60 ans, a marié son fils l’année
dernière. Elle nous a confié les bonnes techniques dont elle a usé pour que son enfant
chéri ne manque de rien. Un, on n’improvise
pas. Elle a commencé par aider son fils à faire
bâtir une maisonnette au-dessus de la sienne.
Pendant plus de deux ans, elle l’a aidé à la
meubler. Étant formellement contre le fait de
s’endetter, elle préférait de loin épargner petit
à petit et aller acheter au comptant une chose
à la fois: salon, bancs, tables, frigo… Au bout
de quelque temps, chaque chose a pris sa place.
Pour la «henna», elle a fait faire un grand
dîner par un cuisinier professionnel. Elle a
fait pour plus de 2.500 dinars de courses entre
viandes et garnitures et a ramené une troupe
de mezwed et un chanteur. Avec le consentement général et comme le veut l’usage, elle a
loué et installé un chapiteau dans la rue, des
chaises et des tables, et c’est parti pour la nuit.
La tradition fait que durant cette soirée, les invités du marié se bousculent pour se mettre du
henné au doigt et alimenter la cagnotte au gré
de sa poche. Un proche de la famille, cadastre
sur les genoux, se porte garant de noter chaque
mise devant le nom approprié. Fathia précise
que le pactole (plus de 2.500 dinars) est une
dette qu’elle devra restituer, le jour venu, aux
familles des donateurs, lors d’un mariage. La
somme lui a permis tout de même de faire face
aux dépenses, de régler quelques factures et
de payer un bon voyage de noces aux jeunes
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marié s.
Quant à l’offrande destinée à la famille de la
mariée, il y avait de tout: un mouton, des fruits
et légumes, des couffins pleins d’aliments et de
condiments, des paniers de cadeaux, dragées,
parfums, robes, bijoux….
Et si on ne veut pas se ruiner?
Peut-on se marier et vivre heureux sans ruiner
toute la smala? Forcément, oui! A condition,
bien sûr, d’avoir une famille et belle-famille
«cool», ou disposées à l’être.
Sophia, 29 ans, s’est évertuée à casser les règles.
Vivant en concubinage avec son conjoint depuis 2 ans, ils ont décidé, du jour au lendemain,
de se marier. Ils ont annoncé la nouvelle aux familles, quelques résistances mais pas de vraies
oppositions. Ils ont fixé la date. Ils avaient 6
semaines pour tout préparer, pas de fortune
sous le matelas et aucune perspective de crédit.
Sophia nous a confié comment elle a dû faire
appel à son imagination et à sa créativité pour
épouser l’homme qu’elle aimait sans y laisser
la peau. La bousculade commence souvent par
«Et où est-ce que vous allez habiter? Et les
meubles? Et les tapis? Et le frigo?… », comme
si on ne vivait pas vraiment avant de se marier.
«Mais il faut du neuf !» Elle a rétorqué que ce
serait comme neuf !
Après une large opération de ratissage des brocantes et marchés aux puces, elle a tout fait
retaper, tapisser, astiquer. On n’y a vu que du
feu. Et le beau couple a eu une belle maison
avec tout ce qu’il fallait. Pour la cérémonie, il
était bien entendu qu’il y aurait un mariage,
point barre. Il fallait donc faire une liste des
besoins et trouver une alternative économiquement accommodante à chaque besoin.
Sophia nous en a fait cadeau, la ponctuant
d’astuces et de pièges à éviter:
- Quitte à signer le contrat, un notaire à la maison est toujours moins coûteux et plus chaleureux que se confronter à la bureaucratie des
patriarches municipaux.
- Se marier hors saison, c’est l’idéal pour avoir
des tarifs préférentiels.
- Opter pour une réception dans le jardin
d’un membre de la famille, cela peut épargner