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film Un retour Abdallah Yahia Les échecs de la «révolution» Le deuxième film est toujours un cap difficile à passer, surtout quand le premier a été une réussite. Abdallah Yahia, documentariste très prometteur, n’échappe pas à la règle. Avec «Un retour» (titre original: «Ala hadhihi el ardh», ou «Sur cette Terre», en référence à un poème du Palestinien Mahmoud Darwish), ce jeune cinéaste (36 ans) poursuit son œuvre dans la veine sociale avec un témoignage sur les évènements d’octobre 2012 survenus à Menzel Bouzaïane au centre de la Tunisie, dans le gouvernorat de Sidi Bouzid. L’action se déroule dans la périphérie de cette petite ville, à El Omrane, où les hommes du village décident de bloquer les routes pour obtenir la satisfaction de leurs revendications. Ils sont tous arrêtés, dépeuplant ainsi la bourgade de ses forces vives. Les vieux et les enfants reprennent le flambeau de la contestation, avec une grève de la faim, pour exiger la libération des contestataires. Les anciens, nostalgiques de l’époque de Bourguiba et du collectivisme d’Ahmed Ben Salah (qui avaient construit ces petites maisons où ils vivent toujours, en béton et sans âme, pour éradiquer l’habitat de terre battue que l’on appelait les gourbis) et les enfants, la tête pleine de rêves qui n’ont pour horizon que les étoiles, symbolisent deux générations à priori irréconciliables. L’arbre centenaire, dont les vieux apprécient l’ombre et où les enfants grimpent dans une tentative illusoire d’atteindre leurs rêves, témoigne de l’intemporalité de la misère qui mine ces populations de génération en génération. L’autorité, considérée comme la cause de tous leurs maux, n’apparaît jamais. Pourtant, elle est omniprésente par la radio qui égr ène les discours creux des responsables sur l’éradication de la pauvreté et par la critique acerbe des personnages qui croient encore que seul l’Etat peut les sortir de leur malvie. «Un retour» éclaire sur les échecs de la «révolution» et l’incapacité du pouvoir à changer les choses. C’est également un gros plan sur une misère insoupçonnée au temps de la chape de plomb de la dictature. En revanche, il lui manque la flamme de «Nous sommes ici» (Nahnou houna), la première œuvre de Abdallah Yahia tournée précisément dans l’urgence et l’effervescence qui a suivi la chute du régime de Ben Ali. Farida Ayari 34