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Le jeune homme et la mer Nidhal Chatta est un amoureux des océans et la mer a toujours été son horizon . Lorsqu ’ il part poursuivre ses études en Angleterre , il s ’ initie à la plongée sous-marine avec l ’ armée . « J ’ ai subi un rude entraînement en mer du nord où l ’ eau est glaciale . Cela a été très formateur . A mon retour , j ’ ai ouvert un club de plongée à La Marsa . »
Le jeune homme devient instructeur de plongée et organise des expéditions aux îles Zembra et Zembretta , La Galite ou encore à El Haouaria qui était sa base opérationnelle . Il vit pleinement sa passion et fait un troisième cycle en co-tutelle en biologie marine et océanographie . Il mettra d ’ ailleurs en place un département spécialisé en plongée à la faculté des sciences de Tunis . « Je m ’ orientais classiquement vers une carrière de chercheur ou d ’ enseignant . Mais le cinéma est passé par là . » Nidhal Chatta me raconte les rencontres fortuites qui ont fait sa carrière de réalisateur . « C ’ est grâce à deux rencontres , une première avec le chef animateur du film « Les Dents de la Mer » que j ’ ai croisé dans le train Loughborough- Londres et une deuxième , cette fois en Tunisie , avec l ' équipe de Carthago Films , qui travaillait sur un téléfilm français intitulé Saison Violente . ». L ’ équipe du téléfilm fait appel à Nidhal pour la réalisation de séquences sous-marines et il leur fournit , le matériel , les plongeurs , assure la sécurité et encadre le tournage . C ’ est cette expérience qui le marquera au point qu ’ il profite de l ’ aide du chef opérateur de l ’ équipe du Commandant Cousteau , qui faisait partie du tournage , pour démarrer son premier court métrage dans la foulée .
De la mer au cinéma Ainsi en 1984 sortira « L ’ Horizon englouti ». Ainsi en 1984 sortira « L ’ Horizon Englouti ». « Quand j ’ ai tourné mon premier court métrage , je ne savais même pas ce qu ’ était un raccord dans la pratique . J ’ avais certes fait quelques stages en France pour apprendre les fondamentaux du métier . Heureusement que j ’ étais assisté par une bonne équipe et j ’ avais entre autres Henri Alliet et Philippe Morice mes deux cameramen sousmarins , Mohamed Dammak pour conseiller et Kalthoum Bornaz pour monteuse . C ’ est eux qui m ’ ont aidé à mettre en place un beau film qui sera primé 8 fois dans de nombreux festivals internationaux . » Pendant quelques années , Nidhal Chatta partira en exploration du monde magique du cinéma tout en gardant un point d ’ ancrage : sa passion pour la mer et le désert . Il fera d ’ ailleurs une série en 12 parties sur les déserts libyens et tunisiens intitulée « Déserts Vivants ». Pour Nidhal , ces deux éléments du vivant ont beaucoup de points en commun dont leur caractère capricieux , aussi généreux que dangereux . Son deuxième court métrage sera également marin : « Aventures sous la Mer » qui retrace l ’ Histoire de la conquête des fonds marins depuis le XVIème siècle jusqu ’ à l ’ invention du scaphandre Cousteau-Gagnan en 1948 . Car l ’ Histoire fascine aussi l ’ artiste . Et il retranscrira cela en images et en films à travers « Le Dernier Mirage » ou encore « Zéro ». Alors que le premier revient sur les traces d ’ un mystérieux manuscrit arabe et de Darwin au fin fond du désert tunisien , le second nous raconte le périple du chiffre zéro et sa trajectoire depuis l ’ Inde jusqu ’ à son arrivée en Occident , en passant par Bagdad , Alexandrie et Kairouan . Pour Nidhal , ce sont toujours les rencontres qui donnent lieu à de vrais projets . « Le film ‘ Zéro ‘ émane aussi d ’ une rencontre avec un livre intitulé : " Zéro , biographie d ’ une idée dangereuse " et le merveilleux scénario signé Claudine Rabaa qui s ’ en est suivi . J ’ ai alors eu envie de partir sur les traces de ce chiffre . Une partie du film a été tournée en Inde et l ' ambassadrice d ' Inde qui a eu vent de notre projet lors des demandes de visas a fait en sorte que le gouvernement coproduise le film . L ’ avant-première mondiale a d ’ ailleurs eu lieu en 2015 à New Delhi . » Le documentaire de long-métrage qui met en exergue une civilisation arabo-musulmane ouverte à toutes les sciences et à tous les champs du savoir n ’ a pas encore , à ce jour , été projeté en Tunisie .
Cinéma décalé Pour Nidhal Chatta ce ne sera pas la première fois qu ’ il patientera avant de partager ses réalisations avec le public tunisien . On se souviendra tous du buzz qu ’ a créé le film « No Man ’ s Love » l ’ année dernière dans les salles , alors que son avant-première a eu lieu en … 2000 . Une grande frustration ? « Oui , mais le cinéma dépend de tout un dispositif compliqué . Derrière chaque film , il y a tout une équipe pour le montage , le tournage , la production , la post production , la distribution , etc . La chaîne implique de nombreuses personnes et si votre schéma de financement n ’ est pas bouclé , les choses peuvent traîner en longueur . Il faut être patient et mentalement très fort . Personnellement , je compare le cinéma à l ’ art de la boxe que je continue à pratiquer . Après un round d ’ observation , il faut boxer , il n ’ y a plus de retour en arrière . » Prêt pour le combat alors ? Nidhal Chatta l ’ est plus que jamais . Aujourd ’ hui , il a envie de tourner un film par an , lui qui a pris du temps pour lui et pour ses passions . « Avant , j ’ avais besoin de revenir vers les documentaires , vers la mer . Aujourd ’ hui j ’ ai envie de faire des films simples et captivants , de tourner vite . » Dans la tête du réalisateur , ça bouillonne déjà . Entre un nouveau projet avec pour élément central le désert , deux longs-métrages et un projet en collaboration avec l ’ Inde , Nidhal Chatta ne chôme pas .
Un tournant nommé « Mustafa Z » C ’ est un peu grâce à « Mustafa Z » que la machine s ' est dégraissée , que la zone de confort a été mise de côté . Lorsque Abdelmonem Chouayet – prix du meilleur acteur des JCC 2017- contacte Nidhal et lui propose le projet « Mustafa Z », ce dernier signe sans réfléchir . « Monem vient me voir avec l ’ idée folle d ’ un type enfermé dans sa voiture , un huis-clos d ’ enfer . Avec la scénariste Sophia Haouas , nous développons cette histoire formidable qu ’ est celle de Mustafa Z , citoyen lambda qui décide à la veille des élections de se rebeller contre le système . Bien sûr , le scénario évoluera et le héros ne passera plus que les deux tiers du film dans sa voiture mais quelle gageure ! Mais je me félicite aujourd ’ hui du résultat et particulièrement au niveau du scénario pour lequel je salue le travail remarquable de Sophia Haouas . » « Mustafa Z » marque donc un tournant dans le genre cinématographique de Nidhal Chatta mais aussi dans le modèle de production , puisque Abdelmonem Chouayet en est le coproducteur exécutif , à l ’ instar du modèle américain . Pour Nidhal Chatta , il n ’ est pas insensé que l ’ acteur s ’ implique dans ses films surtout lorsqu ’ il est à l ’ origine du projet , également lorsque les œuvres sont de petits budgets . « Nous sommes en train d ’ inaugurer un nouveau mode de production . Il est aujourd ’ hui possible de faire de bons films dans lesquels la prise de risque en termes de production est partagée entre les initiateurs du projet : réalisateur , producteurs , scénariste et acteurs principaux . Pour notre cas , même Sophia Haouas a participé à la coproduction . Et c ’ est d ’ ailleurs ce qui a permis au film de voir le jour . »
Le film qui sort dans les salles le 28 février prochain analyse la société tunisienne , avec en toile de fond une actualité politique , celle des élections de 2015 . Celui qui s ’ est longtemps focalisé sur les éléments naturels et historiques , a fini par nous tendre un miroir dans lequel une bonne partie des Tunisiens pourra se reconnaître … dans le rire . Du tragi-comique comme on en fait rarement . En attendant la sortie officielle de « Mustafa Z », Nidhal Chatta est déjà parti vers d ’ autres contrées pour un prochain film en 2019 . Ne nous a-t-il pas dit « un film par an » ? Chiche monsieur , Nous avons hâte !
Raouia Kheder 45