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Le spécialiste est clair : la situation d ’ impasse dans laquelle nous nous trouvons aujourd ’ hui n ’ est autre que le fruit d ’ un mauvais diagnostic qui remonte à 2012 . « Il nous faudra remonter au temps du gouvernement de Béji Caid Essebsi . Au lendemain de la révolution , des augmentations salariales ont été effectuées . Vous me direz que c ’ est ce qu ’ il fallait faire en ces temps de tensions et de pressions sociales . Il n ’ y avait pas d ’ autres issues certes . Cependant , après les premières élections , les choses n ’ ont pas changé et le gouvernement n ’ a pas modifié son approche . L ’ idée était alors la suivante : augmenter les salaires , ce qui impliquait une augmentation du pouvoir d ’ achat . Pour l ’ Etat , ce pouvoir allait s ’ exercer et engendrer un accroissement de la demande au niveau des entreprises qui allaient forcément produire plus . Plus de vente , donc plus d ’ investissement . » nous explique-il .
Alors pourquoi cette méthode n ’ a rien donné de tout cela ? Choc de demande ou choc de compétitivité ? Skander Ounaies nous répond que cette démarche n ’ est fiable que sous certaines conditions : « Notamment en l ’ absence d ’ un secteur informel . Il ne faut pas avoir une économie trop extravertie sur l ’ occident non plus . C ’ est pour cela qu ’ il fallait plutôt agir du côté des entreprises et non des citoyens . Il fallait aider les PME , baisser leurs fiscalités , reporter les échéances , etc . Nous parlons alors de choc de compétitivité . Car voilà ce qui s ’ est déroulé durant les premières années de la révolution : le pouvoir d ’ achat qui avait augmenté grâce aux augmentations salariales a concerné principalement les « smigards », qui , comme vous le savez , favorisent pour la plupart l ’ achat dans le secteur informel . L ’ Etat a donc favorisé les marchés parallèles pour un secteur informel qui pèse aujourd ’ hui 30 % dans notre économie . Quant aux autres classes , notamment la moyenne , elles ont exercé une forte demande à la consommation . Une demande à laquelle l ’ Etat n ’ était pas prêt de répondre et nous avons donc dû faire appel à plus d ’ importations . Au final : une dette publique , une dette extérieure et un déficit commercial qui explosent . » Malheureusement , aujourd ’ hui les plus grands économistes tels que Hechmi Alaia ou Abdejabber Bseies sont unanimes : en Tunisie , nous vivons un problème de productivité et de compétitivité .
Gouvernement de compétences Pourquoi le gouvernement -particulièrement de compétences- n ’ a-t-il alors rien fait pour sauver la donne ? Parce qu ’ une bonne partie de ceux qui tiennent des postes clés sont liés par des lobbies . Des lobbies régionaux , politiques , familiaux , sectoriels , etc . « Qui ne sait pas que certains cafés-restos dont le coût s ’ élève à plusieurs milliards sont une vitrine de blanchiment d ’ argent ? Pourquoi ne les arrête-on pas à votre avis ? Parce que ce sont eux qui financent certains partis . Les lobbies sont la cause d ’ une bonne partie de nos soucis économiques . Comment se fait-il que durant la crise actuelle , autant de franchises soient acceptées dans notre pays ? De Kiabi à Lc Waikiki en passant par Bershka et autres marques d ’ entrée de gammes en textiles alors que le patronnat est au courant de tous les

« Malheureusement , aujourd ’ hui les plus grands économistes tels que Hechmi Alaia ou Abdejabber Bseies sont unanimes : en Tunisie , nous vivons un problème de productivité et de compétitivité .»

problèmes que rencontre le secteur ? C ’ est une grande perte de devises . »
Les causes de cette déchéance ? Pour Skander Ounaies , ce sont des fléaux comme la corruption , l ’ incompétence ou encore la prédation qui en sont la cause . « La plupart des conseillers de Youssef Chahed ne sont pas des économistes . C ’ est tout dire . » Un des problèmes majeurs concerne également la rupture des citoyens , principalement les jeunes , avec la classe politique . Ils n ’ ont plus confiance . « Le citoyen ou le petit homme d ’ affaire , qui fait tout dans la légalité et qui paie la totalité de ses impôts , voit d ’ un autre côté le contrebandier ne pas le faire . Comment voulezvous qu ’ ils continuent d ’ y croire ? »
Une loi de finances qui alourdit encore plus la situation « Parce qu ’ on ne taxe pas là où on doit taxer tout simplement . Cette loi va peut être passer mais avec beaucoup de difficultés , ou alors une forte pression du groupe Nahdha / Nidaa . Mais l ’ après-vote va être très difficile . La société civile se dit prête à descendre dans la rue si jamais cette loi passe . »
Quelles voies de sortie pour l ’ économie tunisienne ? « Il faut d ’ abord et avant tout une réforme de la fiscalité . C ’ est simple , il ya 3 documents importants : l ’ immatriculation immobilière , l ’ importation au port , et l ’ immatriculation de véhicules . Il suffit juste de croiser ces trois bases de données , d ’ élaborer un seuil
minimal de consensus et d ’ appeler tous ceux qui le dépassent pour les questionner sur leur fiscalité . Et comme déjà dit plus haut , il faut encourager la productivité , agir en faveur de l ’ entreprise et formaliser le secteur informel ( ce dernier point étant tout à fait possible ). Autrement , la situation va encore s ’ aggraver . Savez-vous combien la Tunisie va-elle emprunter l ’ année prochaine auprès des banques internationales : 7 milliards de dinars . C ’ est l ’ équivalent du futur déficit budgétaire de 2018 . A chaque fois que l ’ Etat recule , les gens avancent . Il est temps de prendre de vraies décisions et de véritables réformes . » conclut l ’ économiste .
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