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Le jeune homme et la mer Nidhal Chatta est un amoureux des océans et la mer a toujours été son horizon. Lorsqu’il part poursuivre ses études en Angleterre, il s’initie à la plongée sous-marine avec l’armée. « J’ai subi un rude entraînement en mer du nord où l’eau est glaciale. Cela a été très formateur. A mon retour, j’ai ouvert un club de plongée à La Marsa. » Nidhal Chatta Le cinéma en profondeur Tous nos projets dans la vie émanent de rencontres fortuites qui s’imbriquent parfaitement aux passions qui nous animent. A la sortie du film « Mustafa Z » durant les JCC, j'ai eu envie de découvrir qui se cache derrière la réalisation de ce petit bijou cinématographique. Je connaissais déjà le travail de Nidhal Chatta à travers ses films « Le Dernier mirage » et « No Man’s Love », mais je voulais mieux connaître le parcours de ce réalisateur discret, ce passionné des profondeurs, des océans et des déserts. Notre rencontre a eu lieu dans son bureau. Un café italien, un calme artistique et un décor cinématographique mais plutôt minimaliste. Nidhal n’aime pas la télévision, les apparitions, les spotlights. « Je fais plus confiance à la presse écrite. » me dit-il lorsque nous commençons l’interview. 44 Le jeune homme devient instructeur de plongée et organise des expéditions aux îles Zembra et Zembretta, La Galite ou encore à El Haouaria qui était sa base opérationnelle. Il vit pleinement sa passion et fait un troisième cycle en co-tutelle en biologie marine et océanographie. Il mettra d’ailleurs en place un département spécialisé en plongée à la faculté des sciences de Tunis. « Je m’orientais classiquement vers une carrière de chercheur ou d’enseignant. Mais le cinéma est passé par là. » Nidhal Chatta me raconte les rencontres fortuites qui ont fait sa carrière de réalisateur. « C’est grâce à deux rencontres, une première avec le chef animateur du film « Les Dents de la Mer » que j’ai croisé dans le train Loughborough- Londres et une deuxième, cette fois en Tunisie, avec l'équipe de Carthago Films, qui travaillait sur un téléfilm français intitulé Saison Violente. ». L’équipe du téléfilm fait appel à Nidhal pour la réalisation de séquences sous-marines et il leur fournit, le matériel, les plongeurs, assure la sécurité et encadre le tournage. C’est cette expérience qui le marquera au point qu’il profite de l’aide du chef opérateur de l’équipe du Commandant Cousteau, qui faisait partie du tournage, pour démarrer son premier court métrage dans la foulée. De la mer au cinéma Ainsi en 1984 sortira « L’Horizon englouti ». Ainsi en 1984 sortira « L’Horizon Englouti ». « Quand j’ai tourné mon premier court métrage, je ne savais même pas ce qu’était un raccord dans la pratique. J’avais certes fait quelques stages en France pour apprendre les fondamentaux du métier. Heureusement que j’étais assisté par une bonne équipe et j’avais entre autres Henri Alliet et Philippe Morice mes deux cameramen sous- marins, Mohamed Dammak pour conseiller et Kalthoum Bornaz pour monteuse. C’est eux qui m’ont aidé à mettre en place un beau film qui sera primé 8 fois dans de nombreux festivals internationaux. » Pendant quelques années, Nidhal Chatta partira en exploration du monde magique du cinéma tout en gardant un point d’ancrage : sa passion pour la mer et le désert. Il fera d’ailleurs une série en 12 parties sur les déserts libyens et tunisiens intitulée « Déserts Vivants ». Pour Nidhal, ces deux éléments du vivant ont beaucoup de points en commun dont leur caractère capricieux, aussi généreux que dangereux. Son deuxième court métrage sera également marin : « Aventures sous la Mer » qui retrace l’Histoire de la conquête des fonds marins depuis le XVIème siècle jusqu’à l’invention du scaphandre Cousteau-Gagnan en 1948 . Car l’Histoire fascine aussi l’artiste. Et il retranscrira cela en images et en films à travers « Le Dernier Mirage » ou encore « Zéro ». Alors que le premier revient sur les traces d’un mystérieux manuscrit arabe et de Darwin au fin fond du désert tunisien, le second nous raconte le périple du chiffre zéro et sa trajectoire depuis l’Inde jusqu’à son arrivée en Occident, en passant par Bagdad, Alexandrie et Kairouan. Pour Nidhal, ce sont toujours les rencontres qui donnent lieu à de vrais projets. « Le film ‘Zéro ‘ émane aussi d’une rencontre avec un livre intitulé: "Zéro, biographie d’une idée dangereuse" et le merveilleux scénario signé Claudine Rabaa qui s’en est suivi . J’ai alors eu envie de partir sur les traces de ce chiffre. Une partie du film a été tournée en Inde et l'ambassadrice d'Inde qui a eu vent de notre projet lors des demandes de visas a fait en sorte que le gouvernement coproduise le film. L’avant-première mondiale a d’ailleurs eu lieu en 2015 à New Delhi. » Le documentaire de long-métrage qui met en exergue une civilisation arabo-musulmane ouverte à toutes les sciences et à tous les champs du savoir n’a pas encore, à ce jour, été projeté en Tunisie. Cinéma décalé Pour Nidhal Chatta ce ne sera pas la première fois qu’il patientera avant de partager ses réalisations avec le public tunisien. On se souviendra tous du buzz qu’a créé le film « No Man’s Love » l’année dernière dans les salles, alors que son avant-première a eu lieu en…2000. Une grande frustration ? « Oui, mais le cinéma dépend de tout un dispositif compliqué. Derrière chaque film, il y a tout une équipe pour le montage, le tournage, la production, la post production, la distribution, etc. La chaîne implique de nombreuses personnes et si votre schéma de financement n’est pas bouclé, les choses peuvent traîner en longueur. Il faut être patient et mentalement très fort. Personnellement, je compare le cinéma à l’art de la boxe que je continue à pratiquer. Après un round d’observation, il faut boxer, il n’y a plus de retour en arrière. » Prêt pour le combat alors ? Nidhal Chatta l’est plus que jamais. Aujourd’hui, il a envie de tourner un film par an, lui qui a pris du temps pour lui et pour ses passions. « Avant, j’avais besoin de revenir vers les documentaires, vers la mer. Aujourd’hui j’ai envie de faire des films simples et captivants, de tourner vite. » Dans la tête du réalisateur, ça bouillonne déjà. Entre un nouveau projet avec pour élément central le désert, deux longs-métrages et un projet en collaboration avec l’Inde, Nidhal Chatta ne chôme pas. Un tournant nommé « Mustafa Z » C’est un peu grâce à « Mustafa Z » que la machine s'est dégraissée, que la zone de confort a été mise de côté. Lorsque Abdelmonem Chouayet –prix du meilleur acteur des JCC 2017- contacte Nidhal et lui propose le projet « Mustafa Z », ce dernier signe sans réfléchir. « Monem vient me voir avec l’idée folle d’un type enfermé dans sa voiture, un huis-clos d’enfer. Avec la scénariste Sophia Haouas, nous développons cette histoire formidable qu’est celle de Mustafa Z, citoyen lambda qui décide à la veille des élections de se rebeller contre le système. Bien sûr, le scénario évoluera et le héros ne passera plus que les deux tiers du film dans sa voiture mais quelle gageure ! Mais je me félicite aujourd’hui du résultat et particulièrement au niveau du scénario pour lequel je salue le travail remarquable de Sophia Haouas. » « Mustafa Z » marque donc un tournant dans le genre cinématographique de Nidhal Chatta mais aussi dans le modèle de production, puisque Abdelmonem Chouayet en est le coproducteur exécutif, à l’instar du modèle américain. Pour Nidhal Chatta, il n’est pas insensé que l’acteur s’implique dans ses films surtout lorsqu’il est à l’origine du projet, également lorsque les œuvres sont de petits budgets. « Nous sommes en train d’inaugurer un nouveau mode de production. Il est aujourd’hui possible de faire de bons films dans lesquels la prise de risque en termes de production est partagée entre les initiateurs du projet : réalisateur, producteurs, scénariste et acteurs principaux. Pour notre cas, même Sophia Haouas a participé à la coproduction. Et c’est d’ailleurs ce qui a permis au film de voir le jour. » Le film qui sort dans les salles le 28 février prochain analyse la société tunisienne, avec en toile de fond une actualité politique, celle des élections de 2015. Celui qui s’est longtemps focalisé sur les éléments naturels et historiques, a fini par nous tendre un miroir dans lequel une bonne partie des Tunisiens pourra se reconnaître…dans le rire. Du tragi-comique comme on en fait rarement. En attendant la sortie officielle de « Mustafa Z », Nidhal Chatta est déjà parti vers d’autres contrées pour un prochain film en 2019. Ne nous a-t-il pas dit « un film par an » ? Chiche monsieur, Nous avons hâte ! Raouia Kheder 45