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portrait de femmes Kaouther Ben Hania ou quand le cinéma se fait audacieux La première fois que j’ai entendu parler de Kaouther Ben Hania, c’était dans le générique de fin du film « El Challat » que je regardais en avant-première en 2014. L’idée de jouer sur le vrai du faux d’une légende urbaine m’avait impressionnée. Plus tard, j’appris que l’acteur était le vrai accusé dans cette affaire ayant défrayé la chronique en 2003. Personne ne saura qui était ce « balafreur », cette sorte de Jacques Leventreur made in Tunisia. Il y avait du génie dans ces choix cinématographiques me disais-je. Je voulais absolument rencontrer qui était derrière ce film aussi poignant que comique. D’autant plus que c’était une femme et qui plus est, jeune. De rencontres furtives, en interviews radiophonqiues, du « Challat de Tunis » à « Zeineb n’aime pas la neige  », j’ai fini par rencontrer Kaouther Ben Hania au lendemain de la projection de « La belle et la meute ». Je voulais en savoir plus sur le parcours de cette jeune femme de Sidi Bouzid qui monta les marches de Cannes en mai dernier. Kaouthar Ben Hania a été maquillée par By Terry 40 Sidi Bouzid ou le Naples des années 50 Nous nous rencontrons à la salle de répétitions du Mad’art à Carthage. Bien calées dans nos chaises rouges, Kaouther me raconte son enfance à Sidi Bouzid, où il n’y avait rien pour se distraire que les livres. C’est dans la littérature que la cinéaste se réfugie, en lisant des classiques comme «  Les misérables  » ou « Don Quichotte ». Elle pensait même écrire un roman. «  Je ne me savais pas passionnée de cinéma. Il n’y avait qu’une seule salle à Sidi Bouzid qui faisait partie de la municipalité. J’y suis allée pour la première fois à cinq ans  », me raconte Kaouther. Son enfance, elle la compare à celle d’Elena Ferrante dans «L’amie Prodigieuse». Comme dans un quartier pauvre de Naples dans les années 50. «  Mon vrai rapport avec le film est venu beaucoup plus tard, en regardant des films indiens de Bollywood en VHS. Je les trouvais magnifiques. » Comme bon nombre d’étudiants tunisiens, Kaouther Ben Hania arrive à Tunis après le baccalauréat. Elle intègre le prestigieux Institut des Hautes Etudes Commerciales de Tunis (IHEC). Dans la capitale, elle est à la recherche de fantaisie, de rêves et de jolies histoires, mais elle ne trouvera rien de tout cela dans cet établissement dédié au commerce. Pour échapper à l’ennui, l’étudiante rejoint la FTCA et se découvre une passion pour le cinéma. Il ne lui faudra d’ailleurs pas longtemps pour savoir que ce qu’elle veut faire c’est des films. Après «Je vis chaque film comme une nouvelle histoire d’amour et un futur bébé à naître» avoir obtenu son diplôme, Kaouther fait deux ans à l’EDAC puis passe le concours de la Femis (École nationale supérieure des métiers de l'image et du son) à Paris pour l’atelier scénario. « Heureusement que j’ai obtenu une bourse car pour ma famille, je prenais trop de risques. » Paris, ville de tous les rêves A Paris, Kaouther Ben Hania entame des études de scénario en 2005 mais il lui faudra beaucoup de patience et de courage pour réaliser son premier court-métrage. Avec « Moi, ma sœur et la chose », la jeune femme comprendra toute la difficulté du métier de réalisateur, même si son œuvre finit par participer dans de nombreux festivals. « Je n’avais pas beaucoup d’expéri ence, pas la bonne équipe, j’étais fragile. Je ne me rendais pas compte que ce métier demande beaucoup de logistique, que cela implique de grands moyens, qu’il y a de nombreuses personnes à gérer à la fois. Une seule mauvaise énergie peut tout faire échouer. » Kaouther Ben Hania est sur le point d’arrêter la réalisation. Pour la jeune artiste, il semble beaucoup plus simple de se limiter à l’écriture de scénarii. Puis elle découvre le documentaire. Un genre dans une économie beaucoup plus légère. Avec une équipe réduite de 3 personnes et un petit budget, Kaouther se rend compte qu’elle peut faire des films. « Dans le documentaire, on peut faire de belles choses, tester des nouveautés, travailler avec des non-comédiens. C’est authentique et réel. Je me suis alors dit : voilà un cinéma passionnant et que je peux assumer techniquement et financièrement. » Premier documentaire «  Les imams vont à l’école  » sera le premier documentaire réalisé par Kaouther Ben Hania. « C’est un film sur les imams qui se forment à la laïcité dans la Grande Mosquée de Paris. C’est l’Institut Catholique qui donne cette formation. J’ai donc suivi ces imams pendant un an. J’ai beaucoup aimé travailler sur ce projet. D’autant plus qu’il y avait un côté challengeur puisque ce milieu, comme vous le savez, est très fermé. » Le train de la réalisation se met en marche pour la brune toujours à la recherche d’une part de rêve et de fantaisie dans sa vie. En parallèle, elle démarrera plusieurs projets cinématographiques, dont le documentaire « Zeineb n’aime pas la neige » en 2009, le court métrage « Peau de colle » ou encore le docu- fiction « Le Challat de Tunis » pour lequel elle attendait déjà les financements. 41