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portrait de femmes Bochra Bel haj Hmida Aussi loin que je me souvienne, Bochra Bel Haj Hmida a toujours défendu les droits des femmes. Les laissées pour compte, les victimes de violences, les trompées et maltraitées, etc. pouvaient toujours aller voir Me Bel Haj Hmida l’avocate, ou encore Bochra la militante associative, deux fois présidente de l’Association Tunisienne des Femmes Démocrates. Depuis plus de 40 ans, son combat est le même : l’égalité et la citoyenneté totale. «  C’est intuitif pour moi. Le féminisme est pluriel, mais ce qui unit les différents combats, c’est la citoyenneté.» me dit Bochra lorsque je lui demande quel féminisme prône-elle. 2017 aura été incontestablement l’année Bochra Bel Haj Hmida qui y verra la concrétisation de plusieurs de ses luttes. Grâce à elle, et à d’autres militants, la loi intégrale sur la lutte contre la violence faite aux femmes est adoptée à l'Assemblée. En août 2017, elle préside la commission des libertés individuelles et de l›égalité créée par Beji Caid Essebsi. Pour elle, le combat ne s’arrête pas là. « J’attends de voir les femmes présentes partout et de manière 38 égale : dans les espaces publics, les organisations ou encore les gouvernements. » En attendant, elle, elle est bien présente à l’assemblée des représentants du peuple. C’est d’ailleurs là-bas que nous nous retrouvons pour un moment confession sur son parcours de militante et son enfance de jeune fille turbulente. « J’attends de voir les femmes présentes partout et de manière égale » Née à Zaghouan, Bochra grandit dans une famille dont le père est agriculteur et quelque peu conservateur. C’est sa mère qui marquera le plus son enfance. « Ma mère a été frustrée de n’avoir pas pu finir ses études parce que mon grand père l’en a empêchée. Pourtant très pieuse, elle nous a transmis des valeurs plus que modernes. Elle prônait l’indépendance de la femme et voulait qu’on pousse nos études le plus loin possible. Elle était féministe instinctivement. » me confie l’avocate. Enfant, Bochra parlait déjà comme une avocate. C’est ce que ne cessera de dire sa mère. Cet te dernière sera souvent défendue par sa fille, qui, à 5 ans déjà, savait très bien argumenter ses positions pour soutenir une mère opprimée. Avec sa verve et une forte personnalité, la petite fille est très peu influencée par ses professeurs ou son entourage féministes. «  Je n’ai jamais aimé qu’on me force à adopter des idées.  » Mais alors, d’où viennent ses idées militantes ? « C’est à l’université que je me suis forgée ma propre opinion et pris des positions. » répond la députée. Mais avant la faculté, Bochra poursuit la deuxième partie de sa scolarité secondaire à Tunis, à l’internat de El Omrane. Là-bas, c’est carrément une meneuse de groupes que les surveillants découvrent en Bochra. Une meneuse, plutôt chahuteuse et fort sympathique qui entraînait les jeunes filles dans des délires incroyables. « J’essayais de créer une dynamique dans notre internat car je sentais qu’il y avait une différence de classes entre les externes bourgeois et nous, internes, venus des autres villes. » Les études de droit Instinctivement, Bochra Bel Haj Hmida poursuit des études de droit. «  C’était le rêve de ma mère. Et tout le monde me disait que j’étais faite pour. Je n’ai pas beaucoup réfléchi. Aujourd’hui, je peux dire que j’aime beaucoup cette profession. Je l’ai d’ailleurs exercée avec beaucoup de passion et aussi, beaucoup de stress. » C’est donc à la faculté de droit que l’étudiante s’oriente vers le féminisme. Là-bas, elle prend conscience que le respect des droits des femmes n’est pas une question de choix politique ou de discours mais plutôt de pratique. Elle gardera de son travail syndical une très bonne impression, mais avouera que le féminisme n’a jamais été le point fort du milieu. «  Les femmes n’étaient pas très bien traitées. On se mêlait souvent de notre apparence, nous écartait des débats et nous sollicitait pour les tractages. Dans le milieu syndical que j’ai intégré à l’université, il était difficile de parler du respect des droits des femmes. » Le métier d’avocate En exerçant le métier d’avocate, Bochra Bel Haj Hmida se spécialise dans le droit de la famille. Pendant des années, elle défend les citoyens maltraités, victimes de leur entourage. Les droits de l’homme se placeront petit à petit en priorité. Car si Bochra Bel Haj Hmida est co-fondatrice d ’A m n e s t y International section Tunisie, cela s’est fait un peu par hasard. «  En 1984, je défendais des jeunes arrêtés durant la «révolte du pain». J’étais avocate stagiaire et je me suis beaucoup investie. Si bien que lorsque la sentence de la peine de mort est tombée, je n’ai pu retenir mes cris dans la salle d’audience.  » Au lendemain du jugement, la jeune femme sollicite l’aide de tous les influents, avocats, juges, médias, etc. pour que justice soit faite et qu’un procès équitable soit donné. L’effet boule de neige a vite pris et l’affaire a revêtu un caractère international qui a intéressé Amnesty International. « C’est eux qui m’ont contactée. Et après quelques réunions semi-clandestines, la section Tunisie est créée. » Avec Amnesty International, Bochra Bel Haj Hmida apprend les notions de respect de l’être humain. Là-bas, les dossiers sont traités anonymement, indépendamment de la couleur, de la religion ou des idées du concerné. «  Je suis devenue encore plus sensible à la peine de mort. » Amnesty et ATFD Ses idées «droitdelhommistes» vont alors de pair avec ses idées féministes qui la pousseront plus tard à cofonder une association à cet actif : l’ATFD. « Mais je ne me suis pas présentée pour la constitution du bureau la première année. Je voulais que le bureau soit diversifié car il y avait deux courants de pensée. » A l’ATFD, Bochra est celle qui se présente comme étant modérée. En dehors de l’association, elle est taxée d’être proche du système. « Moi je pense plutôt que je suis juste quelqu’un de réformiste. Pour moi, il faut savoir dealer avec les données que l’on a. Au sein de l’association, je tenais à ce caractère «  modéré  ». Par exemple, sur la question du voile, je suis de celles qui pensent que c’est un choix et non pas une oppression. J’étais également pour la défense des islamistes. » Pourtant, l’association est diabolisée, particulièrement après la révolution. Pour une majorité des Tunisiens, l’ATFD est une association extrémiste, anti-islam et pro-Ben Ali. Une image qui a été médiatisée à tort. « Et personne ne nous a défendus. Pas mêmes les opposants qui ont utilisé et usé de notre local du temps de la dictature tels que Marzouki et bien d’autres. » La politique pourquoi ? La politique pour changer les choses de l’intérieur. «  Pour moi, c’est une grande opportunité. D’ailleurs, je ne regrette aucun de mes choix de partis politiques. Ettakatol était mon parti naturel. Un parti social démocrate, modéré depuis son existence avant la révolution. J’ai cependant été déçue, car il y avait une opportunité de constituer un bloc fort et uni avec les démocrates, mais Mustapha Ben Jaâfar a préféré s’allier à Ennahdha, qui était un parti beaucoup plus fort. » La militante fait de la politique sans regrets. Lorsqu’elle rejoindra Nidaa Tounes, elle est convaincue que Béji Caid Essebsi a fait ce qu’aucun démocrate n’a pu faire  : rassembler la majorité des voix. Cela ne l’empêchera pas de claquer la porte lorsqu’elle ne se retrouve plus dans les idées et agissements du parti. Elle continuera d’ailleurs son chemin en tant que députée dans un bloc de démissionnaires. Et c’est dans cette assemblée des représentants du peuple qu’elle continuera sa lutte de l’intérieur comme elle la décrit. Grâce à son acharnement et à son travail, la loi contre la violence faite aux femmes est votée. Une énorme avancée, tout comme le droit pour la Tunisienne d’épouser un nom musulman. « Nous pouvons beauco up critiquer la révolution, mais le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle permet encore de faire de belles choses même dans la diversité. » Aujourd’hui, Bochra Bel Haj Hmida peut se targuer de dire qu’elle est -avec d’autres noms- derrière les nouveaux changements dans la loi en faveur des droits des femmes. Quelque part, le nom de cette avocate rentre dans l’Histoire du pays. Prochaine étape  ? «  L’égalité dans l’héritage. Mais surtout, l’égalité en tout et partout.  » conclut Bochra Bel Haj Hmida.  Raouia Kheder 39