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Dossier
On est réellement sur des défaillances dans notre système de prise en charge. Ce travail invisible des femmes est estimé à 43 % du PIB: enfants, parents âgés,…( Profil Genre de la Tunisie 2014)
Par ailleurs, dans le Code du statut personnel, il y a encore un certain nombre d’ articles discriminatoires tels que:- Le mari est toujours le chef de famille. Il n’ y a toujours pas de partage de l’ autorité parentale sauf en cas de défaillance du mari et la femme n’ a pas les mêmes droits que l’ homme sur ses enfants.- Une non-musulmane n’ hérite pas de son mari musulman.- La dot qui fait du contrat de mariage un acte marchand et c’ est la norme actuellement dans le pays! Cette symbolique incarne quelque chose de dégradant, qui porte atteinte à la dignité des femmes parce qu’ il faut savoir qu’ il n’ y a pas de consommation de mariage s’ il n’ y a pas de dot. C’ est quand même symboliquement violent!- L’ inégalité dans l’ héritage
L’ application de la loi est aussi importante que la loi elle-même Le but de la loi intégrale est de rassembler l’ arsenal juridique dans un seul corpus en y intégrant également les volets prévention et accompagnement. La loi intégrale va donc concerner plusieurs ministères, à savoir ceux du Travail, de l’ Intérieur, de la Justice, des Affaires religieuses, de l’ Education nationale, de la Culture ou encore le ministère de la Jeunesse et des sports pour faire de la prévention contre les violences. Il ne faut pas oublier que l’ on compte 3 parties:- Une partie prévention- Une partie sanction- Une partie prise en charge et accompagnement des victimes
On parle de 6 mois pour la mise en application de cette loi car il faut des décrets d’ application et la préparation de la mise en place d’ un certain nombre de dispositifs: l’ équipement de postes de police d’ accueil spécifique, la formation des policiers, des juges, des médecins, des enseignants, etc. Ceci va prendre quelques années.
Aujourd’ hui une femme subit une violence. Vu que les décrets d’ applications ne sont pas encore promulgués, est-ce qu’ elle peut se prévaloir de cette loi pour demander que justice soit faite? Non. Mais il faut savoir quand même que l’ on n’ est pas dans le vide juridique. C’ est la manière de présenter cette loi( médias et politiciens) qui fausse un peu la donne. Il y a déjà tout un arsenal de sanctions dans le code pénal qui a été maintenu. Il y a juste des amendements des articles du Code. Ce n’ est pas une première. Même avant le vote de la loi, les femmes qui étaient victimes de violence pouvaient se prévaloir du code pénal. Le changement majeur est dans la manière de faire car on sait très bien que dans les postes de police, quand une femme se présente pour porter plainte, une fois sur deux, on essaye de l’ en dissuader. Il y a des pressions sociales qui sont exercées et une banalisation de la violence. Dans la nouvelle loi, même quand une femme retire sa plainte, l’ état peut poursuivre l’ auteur de violence. Des policiers et le parquet vont être formés pour prendre en charge les femmes victimes et l’ accompagnement pourra être assuré en partenariat avec les associations de femmes. Par ailleurs, la violence n’ est plus une affaire privée, c’ est une affaire publique et il faut savoir qu’ au delà de la situation de la victime, la violence coûte cher à la société. En fait, elle a un coût pour tous les services de l’ Etat qui interviennent sur des dossiers de violence: hôpitaux, hébergement d’ urgence, prise en charge de la victime, police, tribunaux, scolarité des enfants de victimes, etc. Il est normal d’ en faire une priorité.
Ce qui est intéressant, c’ est que la société civile va être impliquée dans ce processus de prévention et d’ accompagnement. Il pourrait donc y avoir des convergences et une mutualisation des moyens et on essayera de collaborer les uns avec les autres. Par exemple, si une structure fait de l’ accompagnement, l’ Etat ne le fera pas lui-même mais la dotera de subventions. Il faudra également former du personnel, des policiers, des greffes, des juges, des médecins, enseignants, etc. C’ est un chantier éducatif, qui va avoir beaucoup d’ impact à moyen terme!
La question de l’ égalité dans l’ héritage considérée comme une violence exercée sur les femmes. Depuis les dernières réformes de 1993 du CSP, les femmes ont l’ obligation de prendre en charge le foyer quand elles ont des revenus, d’ y participer financièrement.( Article 23) Elles ont aussi l’ obligation de prendre en charge leurs parents quand elles ont des revenus. Là où le bât blesse, c’ est que les femmes ont des obligations et des devoirs financiers mais ne disposent pas du même patrimoine! Du moment qu’ on a reconnu le rôle économique des femmes dans la famille dans la loi, il n’ y a plus rien qui justifie l’ inégalité successorale.
Le seul changement qui a été opéré concernant l’ héritage, c’ est qu’ avant, quand il n’ y avait pas de descendance mâle, les filles n’ héritaient pas de la totalité du patrimoine. Maintenant, quand les parents n’ ont que des filles, elles peuvent en hériter. Donc on a déjà modifié les règles de la charia à ce niveau là.
Cette question de l’ égalité dans l’ héritage est aujourd’ hui fondamentale parce qu’ on s’ aperçoit que 70 % des pauvres et des précaires dans le pays sont des femmes. Lorsque les femmes veulent investir ou se mettre à leur compte, ou même monter leur propre projet, elles disposent de moins de fonds accordés par les banques car elles n’ ont ni garantie financière ni fonds propre et encore moins un bien à hypothéquer pour obtenir des prêts importants ce qui constitue une vraie entrave économique. Elles sont cantonnées dans les micro-projets.
Disons que ce n’ est pas par hasard que les femmes sont les plus pauvres, la raison est claire: elles sont désavantagées. Dans le sud du pays, par exemple, beaucoup de femmes n’ ont même pas droit à un bout de terre sous prétexte que « ça fait vivre le frère et par conséquent toute la famille », la femme se retrouve par conséquent lésée et sans rien. C’ est pareil pour le patrimoine qui reste la plupart du temps dans la lignée masculine de la famille. Elles sont majoritaires à travailler la terre( plus de 70 %) et sont minoritaire à la posséder( à peine 21 %). Tout cela accumulé fait que les femmes sont plus pauvres et qu’ elles disposent de moins de revenus que les hommes. En demandant l’ égalité dans l’ héritage, on ne fait finalement que rééquilibrer les choses. On agit sur la répartition équitable des ressources pour mettre fin à une discrimination qui n’ a plus aucun sens, d’ autant plus qu’ il y a beaucoup plus de femmes qui travaillent( env. 28 % formellement mais plus de 50 % en réalité). L’ égalité successorale implique une redistribution des ressources et mettra fin à une forme de domination et de pouvoir des hommes sur les femmes. Beaucoup d’ hommes s’ y opposent car c’ est ce pouvoir qui est remis en cause et il y a une forme d’ instrumentalisation de l’ islam à cette fin.