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énonce l’ égalité entre citoyens et citoyennes( les hommes tunisiens ayant eux le droit, d’ épouser une non-musulmane), contraire aux principes de la liberté de conscience stipulée dans l’ article 6 de la constitution et enfin, contraire aux conventions internationales ratifiées par la Tunisie dont la Convention sur 1’ é1imination de toutes les formes de discrimination à 1’ égard des femmes( CEDAW) en 1985 avec des réserves sur les droits au sein des familles levées définitivement en avril 2014.
Nous évoquerons également dans ce dossier, le projet d’ instauration d’ une égalité totale entre les hommes et les femmes en matière d’ héritage qui soulève actuellement des débats houleux et se heurte à de nombreuses oppositions.
Femmes de Tunisie s’ est entretenue sur ces 2 points avec Nadia Chaabane *, députée à l’ ANC et une des premières à invoquer la nécessité de légiférer une loi protégeant les femmes de la violence sous toutes ses formes, militante dans plusieurs collectifs pour les droits des femmes et contre la discrimination et le sexisme et membre fondatrice du Collectif féministe « Nissa al 46 ».
Après 3 ans de gestation, la loi intégrale contre les violences faites aux femmes a finalement été adoptée par le parlement. Sans aucun doute, c’ est une grande victoire pour les femmes tunisiennes mais.... La loi a certes permis une très belle avancée en matière de droits des femmes et un premier pas dans la consécration de l’ article 46 de la Constitution. Parmi les mesures qu’ elle a introduites, on peut citer l’ amendement de l’ article 227 bis( qui a fait l’ objet de plusieurs campagnes et débats dans la société tunisienne ces derniers mois) qui a levé l’ impunité pour le violeur s’ il épouse sa victime et qui prévoit une peine de 6 ans d’ emprisonnement pour quiconque a des rapports sexuels, même avec son consentement, avec une mineure de moins de 16 ans et une peine de 5 ans si elle est âgée de plus de 16 ans et moins de 18 ans. Une autre mesure importante est la sanction de 3 à 6 mois de prison pour toute personne employant une aide-ménagère mineure. Sans oublier que, malgré des oppositions acharnées et très médiatisées, l’ âge de la majorité sexuelle a été élevé à 16 ans au lieu de 13 ans. Le volet prévention est important car il va obliger à mettre en place des stratégies de luttes contre les violences et introduire l’ éducation à l’ égalité dans les espaces scolaires et éducatifs et le volet protection des victimes de cette loi intégrale est aussi très important. Nous souffrons aujourd’ hui d’ un manque de dispositif de prise en charge des femmes victimes et il y a une réelle urgence à mettre des moyens pour la protection et l’ accompagnement.
Ces mesures sont bien évidemment très importantes. Malheureusement, la copie de la loi intégrale de lutte contre les violences faites aux femmes, qui a été présentée au vote, est
une copie qui a été revue à la baisse. Le texte proposé par Nadia Chaabane quand elle était secrétaire d’ état en 2014, supervisé par Sana Ben Achour ainsi que par toute une équipe et qui a fait l’ objet d’ une concertation nationale, était nettement plus ambitieux et couvrait l’ ensemble des discriminations et des violences dans le code pénal mais aussi dans le Code du statut personnel. La loi votée ne concerne pas les discriminations encore présentes dans le CSP. On a tendance à penser que la violence est seulement physique. Non, la violence couvre aussi l’ ensemble des discriminations.
La loi intégrale en matière de violence économique ou morale La loi qui a été votée n’ est pas si intégrale que ça car il y a encore des choses à parachever en matière de violence économique ou morale car là où il y a discrimination, c’ est une violence qui est exercée.
Prenons par exemple l’ article 18 qui parle d’ égalité salariale. Pour être efficient, il faut qu’ il y ait des décrets d’ application très pointus et l’ on doit veiller à ce qu’ il ne reste pas dans ce flou où on parle d’ égalité salariale mais dans le même temps pour prouver les discriminations dans une entreprise, il faut que la preuve soit à la charge de l’ employeur, et non à la charge de l’ employé, parce qu’ une employée aura du mal à avoir les fiches de salaires de ses collègues hommes pour prouver qu’ elle est désavantagée, donc c’ est à l’ employeur de se justifier et de s’ expliquer à ce propos, au niveau des promotions, de l’ accès à la formation, etc. Les écarts de salaire dans le privé sont de 18 % et ces inégalités concernent aussi l’ accès à la formation, aux promotions, etc. C’ est extrêmement complexe de prouver une discrimination économique.
Parlons également des entraves que rencontrent les femmes dans les hautes fonctions. Dans les postes importants, comme par exemple dans le nouveau gouvernement, il n’ y a que 7 % de femmes. Nous avons 6 femmes ministres sur une équipe de 43. Il y a également ce qu’ on appelle les entraves objectives: une femme qui va s’ arrêter à 2 ou 3 reprises pendant sa carrière pour cause d’ accouchement, perd des promotions et des échelons. Dans le secteur public, il est possible de faire des rattrapages mais dans le privé, en général, ce n’ est pas le cas. Elle sera pénalisée dans la progression de sa carrière. Des femmes de moins de 30 ou 35 ans ont du mal à trouver un emploi et elles sont plus nombreuses à être au chômage parce qu’ on anticipe sur leur parcours de vie. Elles vont tomber enceinte, elles vont s’ absenter en cas de maladie de leur enfant ou pour d’ autres raisons familiales. On estime donc qu’ elles vont faire perdre de l’ argent à la société, comme si l’ enfant était une affaire individuelle alors que c’ est l’ affaire de la société et on se doit d’ assumer collectivement et de trouver des solutions qui ne pénalisent pas les femmes.
Et là, il y a des mécanismes qui doivent être mis en place pour rectifier le tir comme par exemple une Charte de l’ égalité à signer avec les entreprises pour leur demander des comptes: Comment elles raisonnent dans leur embauche? Pourquoi sacrifier les femmes au niveau des promotions? L’ égalité salariale, etc.
Donc si on ne règle pas les problèmes de la prise en charge de la petite enfance et des personnes âgées, on n’ aide pas les femmes! Parce que dans notre société, les femmes se retrouvent à gérer les deux bouts de la chaine: les enfants quand elles ont moins de 40 ans et les parents quand elles ont plus de 50 ans. Ce ne sont pas les hommes qui ont cette responsabilité. Tout ceci les empêche de progresser dans leur activité professionnelle parce qu’ elles doivent parfois sacrifier leur carrière pour pouvoir disposer de temps.
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